[DROIT PUBLIC DES AFFAIRES] Obligation de reprise du personnel : quid en cas d’un changement de périmètre du contrat ?

[DROIT PUBLIC DES AFFAIRES] Obligation de reprise du personnel : quid en cas d’un changement de périmètre du contrat ?
19/01/2023 , 05h16 Droit Public des Affaires

CAA Bordeaux, 30 novembre 2022, n° 20BX03887

  • Les faits

Dans le cadre d’un recours Tropic, un candidat évincé demande au juge administratif de prononcer l’annulation d’un marché public. Pour quel motif ? Selon lui, l’acheteur public a manqué à ses obligations de mise en concurrence en s’abstenant d’éliminer l’offre d’une société qui ne respectait pas l’obligation, prévue par le Code du travail, de reprise du personnel de l’ancien titulaire.

  • Question juridique

Quelles sont les conditions qui gouvernent l’application et le respect des dispositions de l’article L.1224-1 du code du travail relatives à l’obligation de reprise du personnel de l’ancien titulaire ? Plus précisément, cette obligation s’applique-t-elle lorsque le périmètre du nouveau marché n’est pas exactement similaire à celui du précédent marché ?

  • Réponse de la Cour administrative d’appel de Bordeaux

Pour rappel, cette obligation de reprise du personnel s’applique dans trois cas : (i) lorsqu’une convention collective le prévoit (ii) en cas d’accord entre les parties ou (iii) lorsque les conditions prévues par l’article L.1224-1 du Code du travail s’appliquent. Cette disposition trouve à s’appliquer en cas de transfert par un employeur à un autre employeur d’une entité économique autonome, conservant son identité, et dont l’activité est poursuivie et reprise par le nouvel employeur[1].

Les juges se sont attachés à déterminer si la mission confiée au nouveau titulaire était identique à celle confiée à l’ancien exploitant :

Si le périmètre du nouveau marché présente donc quelques différences avec celui du précédent marché, les missions confiées au titulaire restent identiques à celles assurées par le précédent exploitant. En d’autres termes, si différences il y a, celles-ci sont marginales ; l’objet principal du contrat restant identique.

Autre point analysé par les juges : est-ce que l’entité économique a conservé son identité entre les deux contrats ? Les indices suivants sont identifiés pour répondre positivement :

  1. Dans le cadre du précédent marché, l’activité était assurée par une équipe de plusieurs personnes, dédiée à l’exécution de cette mission et permettant à l’exploitant de fonctionner de façon autonome ;
  2. Les ouvrages, installations et biens significatifs nécessaires à l’exécution du nouveau marché ont fait l’objet d’un transfert de mise à disposition par la personne publique au profit du nouvel exploitant. Ils doivent également permettre à l’exploitant de continuer l’exploitation du marché dans des conditions strictement identiques.

Ainsi, l’activité transférée au nouvel attributaire du marché constitue bien un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels et incorporels permettant l’exercice d’une activité économique poursuivant un objectif propre et donc une entité économique autonome ayant conservé son identité.

Au final, l’obligation de reprise du personnel prévue par le code du travail devait s’appliquer. Le titulaire aurait dû prévoir la reprise des personnels de l’ancien titulaire. L’offre de l’attributaire devenu titulaire était donc irrégulière et aurait dû être éliminée au stade de l’analyse des offres.

Dans de telles circonstances, quelle est la sanction encourue ? Les juges prononcent ici la résiliation avec un effet différé de 6 mois.

En résumé

  1. Attention : l’obligation de reprise du personnel de l’ancien titulaire, prévue par l’article L.1224-1 du Code du travail, peut s’appliquer lorsque le périmètre du nouveau marché présente des différences marginales avec celui de l’ancien marché sous réserve que l’objet principal du contrat, confié au nouveau titulaire, reste identique.
  2. L’acheteur doit examiner au cas par cas l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail à défaut de dispositions claires au sein de la convention collective.
  3. Ce vice parfois allégué en référé précontractuel au stade du contentieux de la formation du contrat peut produire des effets importants sur l’exécution du contrat public et parfois mener le juge à prononcer plusieurs années post attribution une sanction entrainant une résiliation forcée et donc une fin anticipée du marché public.

[1] CJCE, 12 février 2009, aff. C-466/07 ; Cass. Soc., 27 mai 2009, n°08-40.393