Obligation d’indiquer les quantités estimatives de l’accord- cadre

Obligation d’indiquer les quantités estimatives de l’accord- cadre
12/02/2019 , 04h54 Droit Public des Affaires

Obligation d’indiquer les quantités estimatives de l’accord- cadre ainsi que d’identifier ses potentiels bénéficiaires : la CJUE renforce l’obligation de transparence


 

CJUE, 19 décembre 2018, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato, aff. C-216/17

La Cour de justice de l’Union Européenne a été saisie de la validité d’une adhésion par un pouvoir adjudicateur italien à un accord-cadre déjà conclu par un pouvoir adjudicateur tiers, dont il n’était donc pas signataire.

Une telle situation (qui se rencontre typiquement dans le cadre des centrales d’achat) soulève en particulier une double question : un pouvoir adjudicateur peut-il bénéficier d’un accord-cadre dont il n’est pas initialement signataire ? Et dans ce cas, faut-il que l’accord-cadre (notamment l’avis de marché) annonce dès le départ le volume prévisionnel de prestations susceptibles d’être commandées par les futurs bénéficiaires ?

La CJUE répond par l’affirmative à ces deux questions.

1. Un acheteur peut rejoindre a posteriori un accord-cadre déjà conclu, à condition qu’il ait été clairement désigné comme bénéficiaire potentiel dans la procédure de mise en concurrence

Si l’accord-cadre constitue naturellement un système fermé du côté des opérateurs économiques, la CJUE accepte au contraire qu’un acheteur public rejoigne un accord-cadre dont il n’aurait pas été signataire initial.

Mais un tel acheteur « secondaire » doit toutefois impérativement apparaître « comme un bénéficiaire potentiel de cet accord-cadre dès la date de sa conclusion, en étant clairement désigné dans les documents d’appel d’offres par une mention explicite qui soit de nature à faire connaître cette possibilité tant au pouvoir adjudicateur « secondaire » lui- même qu’à tout opérateur intéressé ».

Cette identification peut en pratique être faite par référence à une catégorie donnée de pouvoirs adjudicateurs (cf. considérant 60 de la directive 2014/24).

Si le sujet a déjà été débattu dans le cadre des centrales d’achat (cf. TA Lyon, 14 janvier 2017, SCC, n°1609017 ; TA Lille, 3 août 2018, Getinge France, n°1806540), ce cadre nous semble parfaitement transposable aux groupements de commande au sens du droit interne de la commande publique.

2. L’acheteur doit impérativement annoncer les quantités prévisionnelles de son accord-cadre, y compris celles concernant ses bénéficiaires potentiels et ce, même en l’absence de maximum

La définition quantitative des besoins constitue une exigence primordiale dans la préparation de tout marché public afin de permettre aux candidats de présenter une offre adaptée et de prévoir les moyens adéquats pour exécuter le marché (CE, 1er juin 2011, Commune de Saint- Benoit, n° 345649). L’ordonnance du 23 juillet 2015 rappelle ainsi en son article 30 (cf. futur art. L. 2111-1 du code de la commande publique) que « la nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision ».

Pour les accords-cadres, le Conseil d’État exige de longue date que l’acheteur public fasse figurer dans son avis de marché, à la rubrique « quantité ou étendue globale » une indication des quantités ou « des éléments permettant d’apprécier l’étendue du marché » (CE, 24 octobre 2008, Communauté d’agglomération de l’Artois, n°313600 ; CE, 20 mai 2009, Ministre de la défense, n°316601 ; cf. également pour un rappel récent, l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Toulon du 11 janvier 2019, n°1803912).

La CJUE va plus loin encore et estime que le pouvoir adjudicateur originairement partie à l’accord-cadre doit « impérativement préciser le volume global dans lequel pourront s’inscrire » les commandes ultérieures émises pour son propre compte et pour celui des pouvoirs adjudicateurs potentiels (bons de commande ou marchés subséquents) ; étant précisé qu’une fois ce volume atteint, qui s’analyse comme un maximum, l’accord-cadre doit être regardé comme ayant « épuisé ses effets ».

La Cour en déduit que cette règle implique que tout bénéficiaire potentiel de l’accord-cadre détermine également le volume des prestations qu’il pourra commander : « il est exclu que les pouvoirs adjudicateurs non signataires de cet accord-cadre ne déterminent pas le volume des prestations qui pourra être requis lorsqu’ils concluront des marchés en exécution de celui-ci ou qu’ils le déterminent par référence à leurs besoins ordinaires, sous peine de méconnaître les principes de transparence et d’égalité de traitement des opérateurs économiques intéressés à la conclusion dudit accord-cadre ».

Il pourra être relevé que la CJUE exclut au passage la possibilité de déterminer les quantités envisagées par la simple référence aux quantités commandées dans le cadre de précédents marchés.

Un coup d’arrêt est donc mis par la CJUE à la pratique consistant pour un groupement de commande ou une centrale d’achat à ne pas indiquer de quantités estimatives précises (par exemple, la mention d’une quantité de « 1 » sans lien avec le besoin réel) notamment pour les acheteurs non signataires de l’accord-cadre mais seulement bénéficiaires potentiels.

Plus fondamentalement, on peut se demander dans quelle mesure cette décision est compatible avec les dispositions de l’article 78-II du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 (cf. futur art. R. 2162-4 du code de la commande publique) qui autorisent la conclusion d’accord-cadre sans minimum ni maximum et valident ainsi la pratique bien connue des « quantités communiquées à titre simplement indicatif et sans valeur contractuelle ».

Sur ce point, la portée de l’arrêt mériterait certes d’être précisée. En effet, si la Cour impose la mention d’un volume global maximum, elle énonce par ailleurs que l’acheteur « n’est assujetti qu’à une obligation de moyens lorsqu’il s’agit de préciser la valeur et la fréquence de chacun des marchés subséquents à passer ». Par ailleurs, les conclusions de l’avocat général semblent considérer que si la mention des quantités prévues (ou du volume total) est obligatoire, l’accord-cadre peut tempérer cette mention en indiquant son degré de précision.

A suivre donc.

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