Question devant la CJUE sur la notion de « négociation »

Question devant la CJUE sur la notion de « négociation »

Qualification du contrat d’agent commercial : Question préjudicielle devant la CJUE sur l’interprétation de la notion de « négociation ».


 Tribunal de commerce de Paris – 19 décembre 2018 – n°2017015204 

Par jugement rendu le 19 décembre 2018, le Tribunal de Commerce de Paris a sursis à statuer et saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne de la question préjudicielle suivante :

« l’article 1er, paragraphe 2, de la directive N°86/653/CEE du 18 décembre 1986 sur le statut des agents commerciaux, doit-il être interprété comme signifiant qu’un intermédiaire indépendant, agissant en tant que mandataire au nom et pour le compte de son mandant, qui n’a pas le pouvoir de modifier les tarifs et conditions contractuelles des contrats de vente de son commettant, n’est pas chargé de négocier les dits contrats au sens de cet article et ne pourrait par voie de conséquence être qualifié d’agent commercial et bénéficier du statut prévu par la directive ?

Cette question relative à l’interprétation de la notion de « négociation » dont dépend l’application du statut d’agent commercial est pertinente, dès lors que cette notion reçoit des interprétations divergentes dans les autres pays de l’Union par rapport à la position française depuis un revirement critiquable de la cour de cassation.

 

1.Dans cette affaire, la société C… a chargé la société T… de diffuser sa marque de prêt-à-porter et d’accessoires dans des shows room et dans des salons auprès de détaillants français, en contrepartie du versement d’une commission sur le prix de vente. La société Y remplissait, pour le compte de la société C…, une mission de prospection de la clientèle, de prise de commandes, de conclusions de contrats de vente et de suivi des expéditions et livraisons.

Trois ans plus tard, la société C… notifiait à la société T… sa décision de lui retirer un secteur géographique estimant que les ventes étaient insuffisantes, et confiait ce secteur à un autre agent.

La société T… résiliait le contrat aux torts exclusifs de la société C… et lui réclamait les indemnités de rupture légalement dues à un agent commercial

La société C… refusait de lui payer des indemnités en considérant notamment que la société T… n’avait pas la qualité d’agent commercial au sens de l’article L. 134-1 al. 1 du Code de Commerce faute pour elle de pouvoir négocier les prix des articles dont elle obtenait la vente pour le compte de son mandant.

Les parties se sont opposées sur la qualification juridique du contrat conclu entre elles. Revendiquant le statut d’agent commercial et le droit à indemnité de rupture du contrat qui en découle, la société T… a assigné la société C… devant le Tribunal de Commerce de PARIS aux fins de faire constater que la rupture du contrat n’est pas due à des fautes graves et obtenir le versement d’une indemnisation.

 

2.Selon l’article L. 134-1, alinéa 1er, du Code de commerce, l’agent commercial est un mandataire qui, de façon permanente, traite avec la clientèle au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels ou de commerçants :

« l’agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocieret, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale ».

Dans un arrêt rendu le 21 juin 2016, la Cour de cassation a pu rappeler que l’application du statut d’agent commercial n’est subordonnée qu’aux conditions dans lesquelles l’activité s’est exercée, indépendamment de l’immatriculation au registre spécial des agents commerciaux (Cass. com., 21 juin 2016, n°14-26.938 ; voir également CA Lyon, 11 févr. 2016, n°13/08814).

Ce sont donc les conditions dans lesquelles l’activité est effectivement exercée qui importent. Notamment, le pouvoir de négocier est une condition nécessaire de la qualification d’agent commercial.

 

3.L’article L. 134-1, alinéa 1er, du Code de commerce est la transposition en droit interne de l’article 1.2 de la directive n°86/653/CE du Conseil du 18 décembre 1986 définissant un statut protecteur et commun à toute l’Europe pour les agents commerciaux (ci-après 86/653/CE) :

« un mandataire qui, en tant qu’intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l’achat de marchandises pour une autre personne, ci-après dénommée « commettant », soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant».

On le voit bien, la qualité essentielle de l’agent commercial se trouve dans sa mission de « négociation », pour le compte de son commettant. Si l’intermédiaire n’a pas le pouvoir de négocier ou s’il n’est pas indépendant, il ne peut être qualifié d’agent commercial.

Autrement dit, la « négociation » détermine l’application à un contrat des règles relatives aux agents commerciaux et conduit le mandant à laisser une certaine marge de manœuvre à l’agent

Encore faut-il s’entendre sur la définition du terme « négocier ».

 

4.Dans la définition du Larousse, le négoce s’entend comme « l’action de s’entremettre », et s’entremettre signifie « intervenir pour mettre des personnes en relation, pour les concilier ou faciliter la conclusion d’une affaire ».

Ainsi, la genèse historique du mot « négocier » en droit français, tel qu’il est utilisé par la Directive et la législation d’harmonisation française, indique qu’il recouvre tous les actes de préparation des actes de commerce.

Comme l’indique le Professeur Axel de Theux « La négociation n’est pas un pouvoir, concept évoquant la faculté d’accomplir des actes juridiques au nom d’autrui. Il s’agit plutôt d’un élément essentiel de l’activité de l’agent commercial consistant en un ensemble d’actes matériels préparatoires-renseignements sur les caractéristiques du bien… proposé, et sur les autres modalités de l’opération, mise en valeur de l’intérêt de l’affaire, tentative de convaincre l’interlocuteur d’y souscrire-qui, en cas de succès, se concrétisent par la transmission d’un ou plusieurs ordres à la firme commettante. En d’autres mots, ‘négocier’ ne signifie pas approuver, ni ratifier, mais préparer, proposer, inciter»[1]

La négociation ne se limite pas aux conditions juridiques ou des prix, mais comporte un travail d’approche technique, commercial et financier permettant de prospecter et de mener une négociation entre le représentant et le client ou prospect vers les critères souhaités par le mandant, libre à celui-ci de refuser finalement toute commande éventuellement obtenue.

Ni la Directive européenne ni la loi française de transposition n’envisagent la nécessité légale de disposer d’un pouvoir du représentant pour négocier les conditions et les prix pour pouvoir bénéficier du statut d’agent commercial.

En effet, « l’agent commercial a le pouvoir de négocier en ce sens qu’il a pour mission de convaincre les clients potentiels de conclure le contrat. Il n’est pas nécessaire qu’il ait le pouvoir de procéder à des modifications des contrats proposés par son mandant »[2].

Comme l’indique Madame Valerie Wagner dans sa thèse doctorale intitulée « Le Nouveau Statut de l’Agent Commercial », l’agent est intrinsèquement « négociateur » ou « stipulateur »

«-l’agent négociateur :

La mission essentielle de l’agent… (est) la recherche et la prospection de la clientèle. Sa tâche de négociateur est primordiale.

Il informe les clients potentiels sur les produits ainsi que sur les conditions de transaction. Il s’efforce de les convaincre à passer commande, puis transmet l’ordre à l’entreprise commettante. En principe le commettant se réserve la faculté de refuser l’ordre transmis. »

Pour Frédéric Fournier : « Ce qui est en réalité attendu des agents commerciaux, c’est de créer un courant d’affaires. Le mandant attend de son agent qu’il mette ses compétences et sa connaissance du marché au service de son entreprise. Cette attente vise à permettre à l’entreprise du mandant d’être mise en rapport avec des prospects.  Il doit réaliser des actes juridiques néanmoins au nom et pour le compte du mandant : matérialisés par des transmissions d’accords par exemple.[3]»

 

5.Depuis plusieurs années, la Cour de cassation a une interprétation étroite, voire restrictive, des dispositions légales sur l’étendue du pouvoir de négociation dont doit bénéficier le mandataire indépendant pour prétendre au statut d’agent commercial (V. not. : Com. 15 janv. 2008, n° 06-14.698: dans cette affaire, la Cour a jugé que le mandataire, qui s’était engagé à n’apporter aucune modification de quelque nature que ce soit aux tarifs et conditions fixés par son mandant, ne pouvait pas être considéré comme un agent commercial ; Com. 27 avr. 2011, n° 10-14.851: après avoir relevé que la société mandataire exécutait essentiellement des « prestations » pour le mandant et avait parfois été conduite à prendre des initiatives localement, à préconiser et à effectuer quelques actions commerciales, à intervenir dans le déroulement des opérations et à recevoir, à titre occasionnel, des bons de commande qui concernaient des approvisionnements à la suite d’appel d’offres après que les négociations commerciales avaient déjà eu lieu, la Cour de cassation a considéré qu’elle ne disposait pas de façon permanente d’un pouvoir de négocier des contrats au nom et pour le compte de la société mandante ;Com. 20 janv. 2015, n°13-24.231 : jugeant que dès lors que l’intermédiaire ne disposait pas d’un pouvoir de négocier des contrats au nom et pour le compte de son mandant, il ne pouvait avoir la qualité d’agent commercial ; Com. 9 déc. 2014, n° 13-22.476 : la Cour de cassation a considéré que le mandataire qui ne justifie pas avoir disposé effectivement d’une quelconque marge de manœuvre sur une partie au moins de l’opération économique, ne peut se prévaloir de la qualité d’agent commercial)

C’est pour obtenir un éclairage nécessaire en vue d’une harmonisation européenne que la société T… a présenté à la juridiction consulaire parisienne une demande de question préjudicielle à la CJCE sur l’interprétation du terme « négociation » au sens de l’article 1erparagraphe 2 de la Directive 86/653/CE.

 

6.Comme on le sait, une question préjudicielle (ou renvoi préjudiciel), à l’instar de la Question prioritaire de Constitutionnalité en droit français (QPC), est une règle de procédure qui prévoit qu’un problème juridique particulier doit préalablement être résolu par la juridiction normalement compétente (la CJUE pour la Question préjudicielle ou la Cour de cassation ou le Conseil d’État pour la QPC) avant que la juridiction saisie ne statue.

La procédure est suspendue dans l’attente de la réponse apportée par une haute juridiction sur la compatibilité de la norme en cause par rapport aux textes qui lui sont de valeur supérieure. Cette procédure est régie par les dispositions des articles 256 et 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) (anciennement article 177).

En l’espèce, il s’agit pour le Tribunal de commerce de Paris de demander à la Cour de justice de donner son interprétation de la Directive 86/683/CE par rapport aux textes français, dans le litige qui lui est soumis.

 

7.Cet éclairage est bienvenu dès lors que la position française nous semble très critiquable au regard des objectifs de la directive et de la jurisprudence relative à l’effet direct de celles-ci (voir Arrêt CJUE, n° C-106/89 Marleasing).

Or, les considérants de la Directive européenne 86/653/CE indiquent que les objectifs de la Directive sont d’éliminer les différences entreles législations nationales en matière de représentation commerciale qui affectent les conditions de concurrence et l’exercice de la profession et portent atteinte au niveau de protection des agents commerciaux, et qui sont de nature à gêner sensiblement l’établissement et le fonctionnement des contrats de représentation commerciale entre un commettant et un agent commercial établis dans des États membres différents.

Au plan du droit européen, la Directive Européenne a donc deux objectifs principaux :

  • éliminer les différences entre les droits nationaux concernant la représentation commerciale au sein de l’Union Européenne ;
  • sauvegarder et améliorer la protection juridique des agents commerciaux.

 

8.Rappelons d’ailleurs que la Directive a été élaborée par la Commission Européenne à la lumière des législations et pratiques nationales de différents pays tels que la France, Belgique et Allemagne. Dans ces pays, la notion équivalente respectivement d’agent commercial ou de « Handelsvertreter » (servir d’intermédiaire dans les affaires négociées) implique l’idée de négocier sans nécessairement conclure un contrat, tout comme le prévoit la loi française.

Ainsi, en droit allemand, la transposition de la directive ressort de l’article 84 HGB (Code de Commerce) et suivants :

« Le Handelsverteter (représentant de commerce) est celui à qui, en tant que travailleur indépendant, l’entremise (ou l’intermédiation), « Vermittlung », est confiée de manière permanente, c   ontre rémunération, et qui négocie pour un entrepreneur. Il s’agit de « la négociation de façon continue des contrats ou la conclusion d’opérations contractuelles ». L’obligation principale de l’agent est de promouvoir les ventes des produits de son mandant ».

Une distinction est faite en droit allemand entre l’agent commercial et le courtier (Handelsmakler) défini à l’article 93-1 du HGB, qui « mène une activité professionnelle pour autrui sans être partie à une relation contractuelle continue de négocier des contrats d’acquisition et de vente de marchandises. Contrairement à l’agent commercial le courtier n’agit pas au regard d’une relation contractuelle à exécution successive mais le Handelsmakler agit sur le fondement de contrats distincts et n’a pas d’obligation de promouvoir des ventes. »[4].

En droit italien, c’est l’article 1742 du Code Civil italien qui est la source du droit italien des agents commerciaux. Cet article indique que « par contrat d’agence, une partie accepte le mandat de promouvoir de manière permanente, pour le compte de l’autre, moyennant une rémunération, la conclusion de contrats dans un secteur géographique déterminé. »[5]

Ainsi, le droit italien tient compte de la nature essentielle de l’activité d’un agent commercial qui est la promotion des produits de son mandant.

En droit espagnol, l’exposé des motifs de la Loi N°12/1992 mettant en œuvre la Directive Européenne en matière d’agents commerciaux, concept inconnu par le passé dans le droit espagnol, indique préférer le mot « promouvoir » pour définir l’activité de l’agent commercial. Ce mot promouvoir apparaissait antérieurement dans le Décret Royal du 1er août 1985 portant statut des représentants de commerce[6].

En droit anglais et irlandais, àmaintes reprises, les tribunaux britanniques et irlandais ont rejeté cette acception restrictive du terme « négocier » dans l’appréciation du statut des agents commerciaux.

Le jurisclasseur français relève d’ailleurs que, dans une récente décision rendue le 23 avril 2008 par la Cour Royale de Justice de Londres[7]où se posait la question de savoir comment interpréter le “pouvoir de négociation” de l’agent commercial, le juge anglais a considéré que le terme négociation qui signifie “discuter”, “traiter avec” devait être pris au sens large et a souligné que si l’on s’en tenait à la notion étroite de négociation, cela reviendrait à écarter du statut la plupart des agents commerciaux, dont le rôle est avant tout de convaincre les clients de passer des commandes, peu important qu’ils aient ou n’aient pas le pouvoir de discuter les prix de ces commandes[8].

Dans une autre affaire touchant à la définition de l’agent commercial, le Tribunal anglais a jugé que le mot « négocier » (et ses équivalents dans les autres langues de l’UE) doit être interprété de manière large (…) (Invicta UK c International Brands Ltd 2013 EWHC 1564 QBD).

De même, les juges anglais ont estimé qu’est agent commercial l’intermédiaire qui a pour objet de « traiter, gérer ou mener » une vente qui a été acceptée. Il n’y a pas besoin pour l’agent d’être nécessairement impliqué dans le processus de négociations sur le prix. (Parks v Essso Petroleum 1999).

Ainsi la jurisprudence tant anglaise qu’irlandaise a pris une définition large du pouvoir de négociation pour qualifier l’agent commercial. Les seules exceptions relevées par la jurisprudence britannique concernent des cas très limités de revendeurs avec marge.

Dans une affaire Kenny v Ireland ROC Ltd 2005 IEHC 241, le juge saisi d’une question concernant la définition de l’agent commercial a décidé que le mot « négocier » n’impliquait pas nécessairement participer au processus contractuel mais concernait l’apport par le représentant de compétence en matière de la conduite, la gestion ou le traitement de la vente de produits, notamment dans certains cas une compétence dans les domaines de marketing ou de promotion.

Or la Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion de rappeler que les dispositions impératives du droit européen en matière d’agent commercial s’imposent à toute relation d’agent commercial sur le territoire de l’Union Européenne, dépassant les frontières des droits nationaux, y compris ceux des pays à l’extérieur de l’Union Européenne[9].

 

9.Cette harmonisation éventuelle, visant à obtenir un revirement de cette position restrictive de la Cour de cassation, serait d’autant plus bienvenue que la jurisprudence est très fluctuante sur ces questions, le plus souvent en adoptant des solutions contraires à l’arrêt critiqué de la Cour de cassation.

Tant la jurisprudence que les usages admettent que le rôle de l’agent commercial et notamment sa part dans la négociation avec les prospects et clients s’exerce de différentes manières selon les circonstances.

La Cour d’appel de Paris a jugé ainsi récemment que « …l’article L. 134-1 prévoit que l’agent commercial doit être un mandataire exerçant à titre indépendant qui est chargé de négocier voire de conclure des contrats sans pour autant limiter cette capacité de négocier au seul élément de prix » (CA Paris, 5è ch. pôle 5, 30 mai 2013, n° 10/23673).

La Cour d’appel de Versailles a estimé quant à elle que « (les) actes de démarchage ou de prospection de clientèle (sont) seuls de nature à permettre une « négociation » au sens de l’article L. 134-1 du Code de commerce et la transmission de commandes constitue un acte juridique » (CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 16 déc. 2004 : JurisData n° 2004-269413 ; JCP E 2005, pan. 292

Plus récemment, la Cour de Paris a encore jugé que l’article L. 134-1 du Code de commerce fait de la faculté de conclure un contrat une simple possibilité offerte à l’intéressé et qu’il ne s’agit pas d’une condition nécessaire lui permettant de bénéficier du statut d’agent commercial (CA Paris, Pôle 5, ch. 5, 13 mai 2009, SA Freelance com. c/ SARL Alphanet)

Plus encore, la Cour de Lyon a jugé que le mandataire ayant le pouvoir de négocier avait donc la qualité d’agent commercial, peu important qu’il n’eût pas le pouvoir de conclure au nom du mandant, qui se réservait de valider les commandes (CA Lyon, 3e ch., 8 avr. 2011, SAS Bel Maille c/ SARL BKT Production).

Aussi, il est incontestable que, en droit français, le pouvoir de négocier les contrats ne se réduit pas à celui de fixer le prix des marchandises ou services, lequel dépend de la politique commerciale adoptée par le mandant à laquelle l’agent doit se conformer (Cour d’appel de Rennes, 26 avril 2013).

Dans une affaire soumise à la Cour d’appel de Rennes, les juges du fond ont relevé que l’agent commercial appliquait le tarif du mandant que celui-ci s’engageait à lui communiquer conformément à ses directives et aux règles du mandat, mais sollicitait l’établissement d’avoirs et de gratuités de sorte qu’il participait à la négociation du prix. La Cour estimait à ce titre que le fait que la décision finale incombe à la société mandante n’étant pas contraire au statut d’agent commercial. En effet, le pouvoir de négocier un contrat n’implique pas nécessairement celui de modifier unilatéralement les conditions tarifaires fixées par le mandant (CA Rennes 28 avril 2015, n°12/04294).

En définitive, le pouvoir de négociation ne se limite en aucun cas aux prix. C’est ainsi que la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt récent, a affirmé :   « Considérant que l’article L134-1 prévoit que l’agent commercial doit être un mandataire exerçant à titre indépendant qui est chargé de négocier voir de conclure des contrats sans pour autant limiter cette capacité de négocier au seul élément de prix » (CA Paris 30 mai 2013 10/23673).

Dans un arrêt très récent rendu le 28 février 2018, la Cour d’appel de Toulouse a également considéré que le pouvoir de négociation ne s’entendait pas seulement comme étant le pouvoir d’adapter l’offre tarifaire du mandant en consentant des remises ou des rabais pour répondre à la demande, en ajoutant que « il y pouvoir de négociation au sens de l’article L. 134-1 lorsque l’agent prospecte des clients au nom et pour le compte du mandant, leur présente des produits de façon attractive et les conduits à signer des commandes et à conclure au final un acte de vente qui sera ultérieurement consenti par le mandant mais qui l’engage(…) » (CA Toulouse 28 février 2018, n°17/01857).

Pour la Cour d’appel de Lyon, le pouvoir de négociation « s’analyse comme étant l’acte de négocier, à savoir selon le sens commun, la série d’entretiens, d’échanges de vue, de démarches entrepris pour parvenir à un accord, même au plan financier et celui des modalités contractuelles, et ce, sans modifications des instructions fournies par la mandante dès lors qu’il n’est pas distributeur » (CA Lyon, 08 mars 2018, n°16/04620).

 

10.Ajoutons que les organismes spécialisés suivent cette même logique.

En effet, pour les Chambres de Commerce et d’Industrie de France reprenant les usages commerciaux, la définition de l’agent commercial est énoncée comme suit : « En qualité de mandataire, l’agent commercial a le pouvoir de négocier, c’est-à-dire de faire des offres ou d’en solliciter, ou le pouvoir de négocier et de conclure. ».

De même, le contrat type de l’APAC (Association Professionnelle des Agents Commerciaux en France) et représentatif de la pratique prévalent dans ce secteur, prévoit à son article 1er « Mandat » que : « le Mandant confie à l’Agent, le mandat de négocier c’est à dire notamment mettre en œuvre une démarche commerciale aux fins de favoriser au mieux la réalisation de l’opération commerciale portant sur les produits désignés à l’article 3, et ce au nom et pour le compte du mandant ».

Tout cela correspond bien à une appréciation civiliste du statut de l’agent commercial, tirée des dispositions de l’article 1998 du code civil, qui énoncent bien en substance que le mandataire ne peut agir au-delà du mandat qui lui est confié.

 

11.Les juges parisiens ont accueilli favorablement cette demande, forte de ces éléments, à n’en pas douter, avoir retenu notamment que la directive n°86/653/CE ne donnait aucune définition du terme « négocier » et que la CJUE n’avait jamais statué sur cette définition, même dans son arrêt du 12 décembre 1996 rendu en matière de droit à commission de l’agent commercial (CJCE, 12 déc. 1996, aff. C-104/95, Kontogeorgas c/ Kartonpak AE), dans leur jugement rendu le 19 décembre 2018

Cette question préjudicielle présentée à la CJUE présente donc un vif intérêt et la réponse qui sera apportée méritera une attention particulière.

La décision qui sera rendue pourrait conduire nos juridictions nationales à modifier leur position relative à l’interprétation de la notion de négociation pour lui redonner le sens littéral et commercial : l’agent commercial est là pour préparer le terrain du contrat à venir, pour vanter les mérites des produits ou services en cause, par son expertise du terrain et son expertise technique.

Négocier ne signifie pas exclusivement négocier des prix ou un contrat, ce serait une terrible méprise de restreindre ainsi la mission de l’agent commercial.

Hubert MORTEMARD DE BOISSE (hdeboisse@lexcase.com)

Gaëlle DELAIRE (gdelaire@lexcase.com)

Département contentieux – droit économique / Le 22 février 2019

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Mots clés : Agents commerciaux – Directive n°86/653/CE – question préjudicielle – négocier – statut des agents commerciaux – APAC

Références:
[1]Pr.Émérite Axel de Theux. « Le droit de représentation commerciale, approche critique de droit comparé » Ed. Publications des Facultés Universitaires Saint Louis 1992.
[2]Commentaire N. Mathey
[3](Jurisprudence citée dans  L’Agence Commerciale : Dix ans après la mise en vigueur du nouveau statut Frédéric Fournier 2eme édition Litec para 184)
[4]« La Représentation en Droit Privé ». 6eme Journées franco-allemandes-Wicker, Schlem, Mazeaud. Droit Comparé Européen. Société de Législation Comparée pp. 143 et 150
[5]cité dans Cass.Civ.1, 17 mai 2017,15-28.767 inédit
[6]« Les Chroniques Ibériques-Droit de la Distribution : L’agent commercial juin 2000 » Pierre Alfredo Avocat au Barreau de Montpellier et Docteur en Droit français et espagnol.
[7]Aff. Nigel Fryer c/ Firth Hardware Limited
[8]Voir notamment également :
  • Invicta UK v International Brands Ltd 2013 EWHC 1564 QB : l’obtention de commandes et la fidélisation des clients et non pas la négociation des conditions des ventes : présence de pouvoir négocier
  • PJ Pipe & Valve Company Ltd v Audco 2005 EWHC 1904 QB : promotion générale des produits du mandant auprès de clients et prospects : présence de pouvoir de négocier ;
  • Parks v Esso Petroleum Company Limited 1999 TrL Rep : cas d’un gérant de station service limité à la revente de carburants aux consommateurs : absence de pouvoir de négocier (jurisprudences anglaises)
[9]CJUE, Ingmar c Eaton Leonard C-381/98 2000 : Dans ce litige, il n’était pas contesté que la société INGMAR GB était juridiquement qualifiée d’agent commercial alors qu’elle avait pour tâche de développer des ventes de produits, sur lesquels elle n’avait aucun pouvoir de négociation des prix établis par le mandant, mais devait convaincre des clients potentiels de la valeur ajoutée des produits par rapport à la concurrence