[INDUSTRIES DES PRODUITS DE SANTÉ] Flash RC Produits : clarification sur la preuve du préjudice d’anxiété (Cass 1er civ. 18 décembre 2024, n° 24-14.750 à n°24-14.755)

[INDUSTRIES DES PRODUITS DE SANTÉ] Flash RC Produits : clarification sur la preuve du préjudice d’anxiété (Cass 1er civ. 18 décembre 2024, n° 24-14.750 à n°24-14.755)

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Dans ces arrêts la Cour de cassation est venue clarifier les conditions de preuve nécessaires pour obtenir la réparation du préjudice d’anxiété.

Elle définit ce préjudice comme « l’anxiété résultant de l’exposition à un risque élevé de développer une pathologie grave ».

La Cour confirme que la preuve de ce préjudice incombe au demandeur, qui doit démontrer une exposition certaine à une substance toxique générant un risque élevé de pathologie grave, tout en laissant aux juges du fond le pouvoir souverain d’apprécier les éléments de preuve fournis.

Cette décision établit un équilibre entre une définition large du préjudice d’anxiété et des exigences probatoires strictes.

 

Dans ces arrêts (1)  (6 en tout dont 3 destinés à être publiés au bulletin), des particuliers avaient conclu un contrat de distribution d’eau avec la Société mahoraise des eaux (SMAE), qui détient le monopole de la distribution d’eau potable à Mayotte. En raison d’une sécheresse exceptionnelle, le préfet de Mayotte avait mis en place des mesures réglementaires à partir de juin 2023, incluant des suspensions temporaires de l’accès à l’eau du robinet. En conséquence, les particuliers avaient assigné la SMAE, reprochant à cette dernière de ne pas respecter ses obligations de continuité du service et de fourniture d’une eau propre et salubre. Ils demandaient, outre des demandes tenant au rétablissement de la livraison d’eau potable et une baisse du prix de leurs abonnements, la réparation de leur préjudice moral et d’anxiété.

La Cour d’appel de Saint Denis de La Réunion n’avait pas tranché dans le sens des requérants. La Haute cour a confirmé l’arrêt d’appel en ce qui concerne le préjudice d’anxiété, considérant que : « Il résulte des articles 1231-1 et 1240 du code civil que constitue un préjudice indemnisable l’anxiété résultant de l’exposition à un risque élevé de développer une pathologie grave. C’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis que la cour d’appel, sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations, a retenu qu’il n’était pas établi que M. et Mme [Aa] [U] avaient été exposés de manière certaine, du fait de la SMAE, à une substance toxique susceptible de générer un risque élevé de développer une pathologie grave ».

La 1ère chambre civile consacre une interprétation large du préjudice d’anxiété mais soumet sa caractérisation à des conditions de preuve restrictives.

Le préjudice d’anxiété est un concept juridique qui désigne la souffrance psychologique résultant de l’incertitude de développer une maladie grave due à une exposition à des substances dont le caractère nocif est avéré. Ce préjudice est reconnu par la jurisprudence française, notamment par la Cour de cassation, qui a ainsi pu établir qu’il s’agit d’un dommage psychologique indemnisable. Il se caractérise par le fait qu’il indemnise l’angoisse née de la réalisation potentielle d’un risque jugé suffisamment sérieux compte tenu de la nocivité des substances ou du produit auquel la personne est exposée.

En droit social, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 (2) a dessiné un régime favorable à la reconnaissance du préjudice d’anxiété des salariés exposés à l’amiante, soumis à des conditions particulières, qui a permis à la Chambre sociale de retenir une définition dédiée (3). Dans un arrêt de principe en date du 5 avril 2019 (4), a été reconnue la possibilité pour des salariés exposés à l’amiante mais dont l’entreprise ne figurait pas sur l’arrêté ministériel dédié de solliciter la réparation d’un préjudice d’anxiété. La chambre sociale a ensuite étendu la réparation du préjudice d’anxiété à tous les salariés exposés à des substances toxiques ou nocives(5).

En droit civil, le préjudice d’anxiété a d’abord été consacré dans le cadre des contaminations par le virus de l’hépatite C et du VIH(6). Il a également été reconnu notamment dans un contentieux relatif à des sondes cardiaques s’agissant du dommage moral né de « l’existence d’un dommage lié à l’annonce de la défectuosité du type de sonde posée et à la crainte de subir d’autres atteintes graves jusqu’à l’explantation de sa propre sonde »(7). Dans le contentieux relatif aux prothèses PIP, la 1ère Chambre civile a également consacré une telle indemnisation(8). Enfin, récemment, un arrêt de la première chambre civile de la Haute juridiction a considéré « que constitue un préjudice indemnisable l’anxiété résultant de l’exposition à un risque de dommage »(9), dans le contentieux relatif au distilbène. Il a été jugé, au visa de l’article 1382 devenu 1240 du code civil que le préjudice d’anxiété invoqué résultant de l’exposition au DES et des risques qui en découlent était indemnisable, peu important l’absence de preuve entre le fait générateur invoqué et la réalisation du dommage. La doctrine a considéré qu’une telle décision se justifiait dans cette affaire très spécifique, compte tenu des risques connus et très documentés liés au médicament en cause.

Pour autant, il n’allait pas de soi d’appliquer le même raisonnement dans d’autres contentieux pour lesquels le risque grave lié à l’exposition n’est pas clairement établi.

C’est ce que rappelle l’arrêt du 18 décembre 2024 commenté au sujet de la preuve que le demandeur doit rapporter pour être indemnisé au titre d’un préjudice d’anxiété, dont l’appréciation souveraine relève des juges du fond. Plus précisément en l’espèce, la 1ère chambre civile énonce que les éléments de faits et de preuve doivent permettre d’établir que, de manière certaine, le demandeur a été exposé à une substance toxique susceptible de générer un risque élevé de développer une pathologie grave.

Il appartient donc au demandeur de démontrer, outre l’anxiété alléguée que :
–    il a été exposé de manière certaine à une substance ;
–    cette substance génère un risque de développer une pathologie grave ;
–    le risque de développer la dite pathologie grave est qualifié d’élevé.

Dans l’espèce commentée, l’avocat général relevait d’ailleurs que « le risque dont les demandeurs se prévalent n’est pas identifié, que sa gravité n’est ni avérée ni évaluée, que la probabilité de sa réalisation n’est pas davantage documentée, qu’il n’est pas plus prétendu ni démontré que les demandeurs ont ingéré une quelconque substance nocive qui aurait pu, compte tenu d’alertes sanitaires émanant des autorités, déclencher une incertitude caractérisant un préjudice d’anxiété ». Il invitait par ailleurs la 1ère chambre civile à préciser les critères de qualification de ce poste de préjudice, en indiquant notamment la manière dont le risque doit être apprécié, in abstracto ou in concreto(10). Faute d’un tel éclaircissement, l’interprétation des éléments de preuve soumis reste en tout état de cause susceptible de varier selon la nature des informations communiquées au soutien de la demande d’indemnisation et selon les juridictions.

 

 

(1) Cass 1er civ. 18 décembre 2024, n° 24-14.750 Bull. ; 24-14.751 Bull. ; 24-14.752 Bull. ; 24-14.753 ; 24-14.754 ; 24-14.755
(2)  Loi n° 98-1194, du 23 décembre 1998, de financement de la Sécurité sociale pour 1999, article 41
(3) Cass. Soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241
(4)  Ass. plén., 5 avril 2019, n° 18-17.442
(5) Cass. Soc., 11 septembre 2019, n° 17-18.311 à 17-18.349
(6)  Cass. civ. 1, 9 juillet 1996, n° 94-12.868 et Cass. civ. 1, 9 octobre 2003, n° 02-06.001, FS-P+B
(7)  Cass. Civ. 1, 19 décembre 2006, n° 05-15.719
(8)  Cass.,1re Civ., 25 mai 2023, n° 22-11.541.
(9)  Cass., Civ. 1, 18 octobre 2023, n°22-11.492
(10)  Avis de M. Chaumont, avocat général, arrêt n° 730 du 18 décembre 2024 (B) – Première chambre civile, Pourvoi n° 24-14.750.