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[DROIT DES ASSURANCES] L’inopposabilité de la nullité du contrat d’assurance pour fausse déclaration aux victimes par ricochet d’un accident de la circulation
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2ème chambre civile de la Cour de Cassation, 23 janvier 2025, n° 23-15.983
Introduction
Par un arrêt rendu le 23 janvier 2025 (n° 23-15.983), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est venue préciser les effets de la nullité du contrat d’assurance automobile pour fausse déclaration intentionnelle sur le droit à indemnisation des victimes d’un accident de la circulation. Elle affirme, de manière inédite, que cette nullité ne peut être opposée à la victime par ricochet, sauf en cas d’abus de droit.
Cette décision s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence constante en matière de protection des victimes de la route, notamment illustrée par l’arrêt de la CJUE du 19 septembre 2024 (CJUE, 19 septembre 2024, n° C-236/23), dans lequel la Cour de justice a jugé que, lorsqu’un passager victime d’un accident de la circulation est également le souscripteur du contrat d’assurance, la nullité de ce contrat pour fausse déclaration ne peut lui être opposée, sauf en cas d’abus de droit.
I. Les faits
L’affaire trouve son origine dans un litige relatif à l’exécution d’un contrat d’assurance automobile, consécutif à un accident de la circulation. Le véhicule impliqué était couvert au titre de la garantie obligatoire de responsabilité civile. Lors de l’accident, le conducteur n’était pas le souscripteur du contrat, mais son épouse, qui transportait à bord les deux enfants du couple.
À la suite du sinistre, l’assureur a refusé de mobiliser sa garantie, reprochant au souscripteur d’avoir, lors de la souscription du contrat, délivré des informations inexactes relatives aux circonstances du risque et falsifié son relevé d’information. En particulier, il lui était reproché d’avoir dissimulé que le véhicule était régulièrement conduit par une personne autre que celle déclarée comme conducteur habituel. L’assureur a, en conséquence, opposé la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle.
Le souscripteur a contesté ce refus de garantie et a assigné l’assureur en responsabilité, sollicitant l’indemnisation des préjudices corporels subis par ses enfants, en qualité de victimes directes, ainsi que la réparation de son propre préjudice d’accompagnement, en tant que victime par ricochet. Le Fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO) a été appelé en la cause, afin d’intervenir en cas d’exclusion définitive de la garantie assurantielle.
Saisie du litige, la cour d’appel a jugé que la nullité du contrat n’était pas opposable aux passagers victimes. En revanche, elle a considéré que cette nullité produisait effet à l’égard du souscripteur, de la Caisse primaire d’assurance maladie, ainsi que du FGAO. Cette décision a été contestée par ces derniers par la voie du pourvoi en cassation.
II. La question juridique
La question posée à la Haute juridiction était la suivante :
La nullité du contrat d’assurance automobile fondée sur une fausse déclaration intentionnelle de l’assuré est-elle opposable à une victime par ricochet d’un accident de la circulation ?
Autrement dit, la Cour devait se prononcer sur la possibilité, pour l’assureur, de priver de la garantie d’assurance une victime par ricochet agissant en cette qualité, alors même qu’elle est également le souscripteur fautif du contrat.
III. La solution retenue par la Cour de cassation
L’article L. 113-8 du Code des assurances permet à l’assureur de se prévaloir de la nullité du contrat en cas de fausse déclaration intentionnelle de l’assuré. Cette sanction, de nature rétroactive, a pour effet d’anéantir le contrat ab initio, privant ainsi l’assuré de toute garantie, y compris en cas de réalisation du risque assuré.
Toutefois, cette prérogative se heurte aux exigences du droit de l’Union européenne, telles qu’elles résultent notamment des directives 72/166/CEE du 24 avril 1972, 84/5/CEE du 30 décembre 1983 et 2009/103/CE du 16 septembre 2009, la jurisprudence de la CJUE tend désormais à considérer que la nullité du contrat d’assurance fondée sur l’article L. 113-8 du code des assurances, notamment en cas de fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, ne saurait être opposée aux victimes d’un accident de la circulation ou à leurs ayants droit (CJUE, 20 juillet 2017 n°C-287/16).
Ce principe, récemment consacré par le législateur, a été codifié à l’article L. 211-7-1 du code des assurances, aux termes duquel : « La nullité d’un contrat d’assurance souscrit au titre de l’article L. 211-1 n’est pas opposable aux victimes ou aux ayants droit des victimes des dommages nés d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques. »
Dans cet arrêt du 23 janvier 2025 (n° 23-15.983), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s’inscrit dans le prolongement de cette évolution, en jugeant que la nullité du contrat ne peut pas davantage être opposée à une victime par ricochet, y compris lorsque celle-ci est également le souscripteur fautif à l’origine de la fausse déclaration, dès lors qu’aucun abus de droit ne peut lui être imputé.
Une consécration de l’inopposabilité dans une logique de protection des victimes
La Cour de cassation vient rappeler que le droit de la victime d’obtenir réparation du préjudice subi prime sur les stipulations contractuelles liant l’assureur à son assuré. Ce principe, qui s’inscrit dans une logique de protection de la victime en droit des assurances, implique que l’assureur ne peut opposer à la victime les manquements contractuels de l’assuré, notamment en cas de nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle.
Cette protection s’étend aujourd’hui à la victime par ricochet, dès lors que celle-ci justifie d’un préjudice personnel, distinct de celui de la victime directe. Il s’agit le plus souvent d’un préjudice moral, d’accompagnement ou économique, résultant directement des atteintes corporelles subies par la victime principale.
La reconnaissance de ce droit à indemnisation, même en présence d’un comportement fautif du souscripteur, participe d’un impératif de justice et d’efficacité dans la réparation des dommages issus d’un accident de la circulation.
La réserve d’abus de droit : un garde-fou contre les dérives
La Cour encadre toutefois cette inopposabilité en rappelant qu’elle ne saurait s’appliquer en présence d’un abus de droit. Bien que non défini par les textes, l’abus de droit se caractérise classiquement par le dépassement des limites d’exercice d’un droit, soit lorsqu’il est détourné de sa finalité légitime, soit lorsqu’il est exercé dans l’intention de nuire à autrui.
En matière d’assurance, cela pourrait recouvrir l’hypothèse dans laquelle une personne chercherait à tirer profit des règles protectrices de la victime, non pour faire valoir un préjudice réel et légitime, mais pour contourner les effets juridiques de sa propre faute.
Cette réserve, bien que destinée à préserver l’assureur contre les détournements frauduleux, laisse subsister une incertitude juridique : la caractérisation de l’abus de droit demeure éminemment casuistique et devra faire l’objet d’un encadrement jurisprudentiel plus précis, notamment quant aux indices permettant de le reconnaître dans le cadre d’une action exercée par une victime par ricochet.
Conséquences sur le recours de la CPAM, subrogée dans les droits de la victime
Dans cet arrêt inédit, la Cour de cassation étend l’inopposabilité de la nullité du contrat d’assurance à la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), lorsqu’elle agit en qualité de tiers payeur subrogé dans les droits de la victime d’un accident de la circulation. En effet, conformément à l’article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale, la CPAM, en sa qualité de tiers payeur, est subrogée dans les droits de la victime pour le remboursement des prestations versées à cette dernière. Elle agit donc en lieu et place de la victime, de sorte que lui opposer la nullité du contrat reviendrait à remettre en cause le droit à réparation de la victime elle-même.
En conséquence, la Cour considère que la nullité du contrat ne saurait produire d’effet à l’égard de la CPAM, ce qui justifie corrélativement la mise hors de cause du Fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO), appelé à intervenir uniquement à titre subsidiaire en cas de défaillance de l’assureur.
Conclusion
L’arrêt du 23 janvier 2025 marque une évolution en consacrant expressément l’inopposabilité de la nullité pour fausse déclaration aux victimes par ricochet. Il conforte ainsi l’approche protectrice de la Cour de cassation à l’égard des victimes de la circulation, tout en rappelant que la finalité de l’assurance obligatoire est avant tout d’assurer la réparation des préjudices subis, indépendamment des relations contractuelles entre l’assureur et son assuré.
Cet article a été co-rédigé par Delphine LOYER, spécialiste en droit des assurances, et Floreine GAUTHIER, juriste stagiaire.