[DROIT DES MARQUES] Retour sur les conditions de l’usage de marques en matière de référencement sur internet : réservation de mots-clés et insertion dans le code source du site Internet

[DROIT DES MARQUES] Retour sur les conditions de l’usage de marques en matière de référencement sur internet : réservation de mots-clés et insertion dans le code source du site Internet
23/11/2023 , 12h47 Propriété Intellectuelle

Dans un arrêt du 18 octobre 2023, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé les conditions de mise en œuvre des actions en contrefaçon sur internet, l’occasion de revenir sur les conditions d’usage de marques de tiers en matière de référencement naturel et payant.

 

Si vous n’avez que 30 secondes

 

En matière de référencement sur Internet, il est d’usage de distinguer le référencement payant du référencement naturel :

–        Le référencement payant désigne le fait pour des annonceurs de rémunérer l’exploitant d’un moteur de recherche pour afficher leurs annonces dans les résultats de recherche par le biais de mots-clés que l’annonceur réserve à des fins d’indexation de l’annonce dans les résultats ;

–        Le référencement naturel, quant à lui, désigne un ensemble de pratiques permettant de rendre une annonce accessible dans les résultats de recherche sans rémunération du fournisseur du moteur de recherche (usage d’une marque dans le code source, optimisation de balises HTML, structuration des pages, nombre de liens externes pointant vers l’annonce, optimisation des performances du site, etc.).

La Cour de cassation rappelle que le titulaire d’une marque ne peut interdire à un tiers de faire usage de sa marque à titre de mot-clé sans son consentement dans le cadre d’un service de référencement payant sur internet qu’à la condition que cet usage porte atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque. À défaut d’une telle atteinte, aucun acte de contrefaçon ne peut être caractérisé.

La Cour de cassation rappelle également que le titulaire de la marque peut interdire l’utilisation d’un signe par un tiers dans le code source de son site Internet, même s’il n’est pas visible aux yeux du public, lorsque le référencement naturel du site Internet est susceptible d’induire l’internaute moyen en erreur par rapport à la provenance des produits et services.

 

L’absence d’usage contrefaisant faute d’atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque

La Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 18 octobre 2023, n°20-20.055) a rejeté le pourvoi formé contre un arrêt d’appel ayant débouté le titulaire de la marque « Aquarelle » (exerçant dans le domaine de la vente de fleurs) de son action en contrefaçon contre un concurrent, la société SCT. Cette dernière avait réservé le signe « Aquarelle » à titre de mot-clé dans le cadre du service de référencement payant Google Adwords et l’avait inséré dans le code source de son site internet afin d’améliorer son référencement naturel. Se faisant, la Cour de cassation a apporté des précisions utiles quant aux conditions d’utilisation des marques en matière de référencement.

Réservation d’une marque à titre de mot-clé dans le cadre du référencement payant

La Cour de cassation retient qu’il n’est pas fait usage du signe « aquarelle » dans l’annonce elle-même, ni dans le lien, ni dans l’adresse URL. Ce signe avait simplement été réservé à titre de mot-clé par la société SCT et apparaissait dans les résultats du moteur de recherche Google après une recherche comprenant ledit mot-clé. La Cour a estimé que la configuration de l’annonce dans les résultats de recherche permettait à l’internaute moyen d’être éclairé sur l’identité du site et la provenance des produits et services visés par l’annonce.

La Cour de cassation rappelle ainsi la position de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08) selon laquelle la réservation d’un mot-clé identique à une marque, pour faire la promotion de produits et services identiques ou similaires, ne porte atteinte à la marque que si la publicité qui en découle permet difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou au contraire d’un tiers.

Dès lors, la réservation d’un mot-clé identique à une marque ne constitue pas, en soi, un acte de contrefaçon si l’annonce (son titre, sa description et le lien URL du site) auquel il se rattache n’induit pas l’internaute en erreur sur l’origine des produits ou services.

Cette solution n’est pas nouvelle et avait déjà été retenue par les juges du fond (CA Versailles, 28 février 2017, n°13/04484).

Usage de la marque dans le code source du site internet dans le cadre du référencement naturel

La Cour de cassation rappelle que le titulaire de la marque peut interdire l’utilisation d’un signe par un tiers dans le code source de son site Internet, même s’il n’est pas visible aux yeux du public, dès lors qu’il propose comme résultat à la recherche d’un internaute une alternative par rapport aux produits ou services du titulaire de la marque et qu’il ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par le référencement naturel proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers.

Par conséquent, les juges du fond ne pouvaient écarter la contrefaçon en se bornant à constater que le signe utilisé dans le code source n’était pas visible du public, et qu’il ne désignait pas des produits ou services.

Toutefois, le pourvoi a été rejeté dès lors que la Cour d’appel a retenu que l’internaute moyen était éclairé sur la provenance du site Internet dans le cadre du référencement naturel, faisant ainsi ressortir l’absence de tout risque de confusion sur l’origine des produits et services proposés

Est ainsi rappelé la nécessité d’identifier une atteinte à la fonction d’origine de la marque pour caractériser un acte contrefaisant, à savoir une situation dans laquelle l’internaute moyen pourrait difficilement savoir si les produits et services visés par le référencement naturel proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celle-ci ou encore une situation où l’annonce proposerait une alternative par rapport aux produits ou services du titulaire de la marque (par exemple, des produits identiques à ceux vendus par le titulaire de la marque). À défaut d’atteinte à cette fonction, l’usage de la marque dans le code source d’un site tiers n’est pas considéré comme contrefaisant.

Un tel usage peut toutefois être considéré comme un acte de parasitisme, comme l’a indiqué la Cour de cassation dans une précédente décision (Cass. com., 7 septembre 2022, n°21-14.495).

Si la présence de signes protégés par le droit des marques dans le code source (« back-end ») du site n’est pas systématiquement interdite, rappelons néanmoins que la présence de tels signes visibles sur le site Internet (« front-end ») peut être également sanctionnée. En effet, dans l’affaire « Aquarelle », la juridiction de première instance avait condamné la société SCT sur le fondement de la concurrence déloyale au motif que cette dernière avait utilisé le terme « Bouquet et Aquarelle » dans l’une des rubriques du site, visible cette fois, pour mettre en avant des produits similaires aux produits désignés par la marque « Aquarelle ». Ce point n’avait pas été soumis au contrôle des magistrats de la Cour de cassation.