[DROIT DES MARQUES] Précisions sur la charge de la preuve de l’épuisement des droits sur une marque

[DROIT DES MARQUES] Précisions sur la charge de la preuve de l’épuisement des droits sur une marque
07/02/2024 , 03h32 Propriété Intellectuelle

Dans un arrêt du 18 janvier 2024 (C-367/21), la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a apporté des précisions bienvenues relatives à la charge de la preuve de l’existence de l’épuisement du droit conféré par une marque dans le cadre d’un contentieux en contrefaçon, laquelle peut être répartie entre le titulaire de la marque et le défendeur à l’action en contrefaçon.

 

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En application de la règle de l’épuisement des droits, le titulaire d’une marque ne peut s’opposer à l’usage d’un produit sur lequel est apposée sa marque dès lors que ce produit a été mis en circulation dans l’Union européenne (ou l’Espace Économique Européen) par lui-même ou avec son consentement.Pour rappel, l’épuisement des droits est un moyen de défense à l’action en contrefaçon : dès lors que le défendeur démontre que le produit a fait l’objet d’une première commercialisation sur le marché européen par le titulaire de la marque ou avec son consentement, l’usage du produit par le défendeur (notamment la revente) ne constitue pas une atteinte au droit des marques.

La question posée à la CJUE était de savoir si la charge de la preuve de l’épuisement du droit conféré par une marque de l’Union européenne doit peser exclusivement ou non sur la partie défenderesse à une action en contrefaçon.

Que retenir de cet arrêt ?
La charge de la preuve de l’épuisement d’un droit de marque ne peut reposer exclusivement sur la partie défenderesse à une action en contrefaçon lorsque :

  • Les produits en cause ne comportent aucun marquage permettant d’identifier le marché auquel ils sont destinés ;
  • Les produits en cause sont distribués au sein d’un réseau de distribution sélective ;
  • La partie qui a acquis ces produits sur le territoire de l’UE a obtenu des garanties sur la conformité de leur revente à la législation applicable ;
  • Le titulaire de la marque refuse de procéder lui-même à la vérification de la première commercialisation sur le territoire de l’UE.

 

Les faits

La société Hewlett Packard (« HP ») est titulaire des marques verbales et figuratives de l’Union européenne « HP » n°00052449 et 008579021 désignant notamment des produits d’équipements informatiques. Les produits de la marque « HP » sont commercialisés dans le cadre d’un réseau de distribution sélective, c’est-à-dire par des vendeurs agréés qui ont l’interdiction de revendre les produits de la marque à des personnes extérieures à l’exception des utilisateurs finaux.

La société Senetic, qui exerce une activité de distribution de matériel informatique, a commercialisé des produits de la marque « HP » en Pologne après les avoir achetés auprès de vendeurs non agréés établis dans l’UE, qui ont eux-mêmes acquis ces produits auprès de vendeurs agréés. HP a donc assigné la société Senetic en contrefaçon devant les juridictions polonaises. La défenderesse a soulevé le moyen de défense de l’épuisement des droits d’HP sur sa marque.

Ainsi, la CJUE a été saisie d’une question préjudicielle visant à déterminer si la charge de la preuve de l’épuisement du droit conféré par une marque de l’Union européenne devait peser exclusivement sur la partie défenderesse à une action en contrefaçon.

 

L’absence de dispositions relatives à la charge de la preuve en matière d’épuisement du droit

La Cour constate qu’aucune disposition du droit de l’Union ne réglemente les modalités d’administration et d’appréciation de la charge de la preuve de l’épuisement du droit conféré par une marque.

Néanmoins, la Cour rappelle que les modalités de preuve doivent respecter le principe de libre circulation des marchandises et être aménagées lorsqu’elles sont de nature à permettre au titulaire d’une marque de cloisonner les marchés nationaux et de pratiquer des différences de prix entre les États membres (déjà en ce sens, CJUE, 17 novembre 2022, « Harman International Industries », aff. C-175/21).

Dès lors, lorsque le défendeur à l’action en contrefaçon parvient à démontrer qu’il existe un risque de cloisonnement des marchés nationaux s’il devait supporter la charge de la preuve de la mise dans le commerce des produits dans l’UE, par le titulaire de la marque ou avec son consentement, un renversement de la charge de la preuve s’opère au détriment du demandeur de l’action en contrefaçon, et les juridictions doivent procéder à un aménagement de la répartition de la charge de la preuve de l’épuisement du droit conféré par la marque.

 

La caractérisation d’un risque de cloisonnement des marchés

La Cour met l’accent sur les éléments de contexte suivants :

  • Le titulaire de la marque exploite un système de distribution sélective ;
  • Les produits fournis par le titulaire de la marque ne comportent aucun marquage permettant d’identifier leur marché de destination ;
  • Le titulaire de la marque refuse de communiquer sur le marché destinataire des produits et les fournisseurs de la partie défenderesse sont eux-mêmes peu enclins à révéler leurs propres sources d’approvisionnement ;
  • Le titulaire de la marque avait obtenu de ses fournisseurs des garanties quant à la conformité à la loi de la commercialisation de ses produits.

Dans ce contexte, la Cour considère que la production par le défendeur de la preuve de la première commercialisation des produits sur le territoire de l’UE (nécessaire à l’épuisement du droit) serait rendue particulièrement difficile, voire impossible.

Partant, la Cour juge que faire peser sur la partie défenderesse la charge de la preuve de la première commercialisation sur le territoire de l’UE aboutirait à une restriction injustifiée de la libre circulation des marchandises, de sorte qu’un aménagement de la répartition de la charge de la preuve doit s’opérer entre le titulaire de la marque et le défendeur à l’action en contrefaçon.

Dans cette hypothèse, il appartient au demandeur à l’action en contrefaçon de démontrer que la première mise en circulation des produits a eu lieu en dehors de l’UE et, si cette preuve est rapportée, à la partie défenderesse de démontrer que les produits ont été importés sur le territoire de l’UE par le titulaire ou avec son consentement.