BREXIT– Questions juridiques à anticiper en cas ou à défaut d’accord

BREXIT– Questions juridiques à anticiper en cas ou à défaut d’accord
05/04/2019 , 03h40 Droit Economique

BREXIT ALERT – Point à date sur les questions à anticiper en cas ou à défaut d’accord

Nous entrons dans une période cruciale, avec un fort risque de sortie sans accord du Royaume-Uni (R-U) de l’Union Européenne (UE) le 12 avril ou le 30 juin prochain en l’absence de ratification par le Parlement britannique du traité de retrait, laquelle devait intervenir avant le 29 mars dernier.

Deux scénarios possibles se dégagent désormais :

  • une sortie sans accord (‘no deal’) le 12 avril prochain (ou le 30 avril comme proposé ce jour par le Premier Ministre May). Le R-U deviendra un pays tiers et le droit européen ne s’appliquera plus au R-U
  • une extension de délai de sortie au-delà du 12 avril pour négociation, serait éventuellement possible, mais pas certaine en l’état. Le cas échéant sa durée reste à définir.

Cette note recommande une étude des contrats en cours ou à négocier, ainsi que de la situation légale et réglementaire des activités impliquant le Royaume-Uni.

Après un bref rappel de la situation (A), un certain nombre de conséquences et de questions seront évoquées (B).

A) Rappel de la situation

a) le projet de traité de retrait et de déclaration politique sur les relations futures

Pour rappel, un traité de retrait (‘Withdrawal agreement’) a été négocié entre le R-U et l’UE pendant presque 2 ans, et traite de tous les détails complexes de la sortie du R-U de l’UE.

Il prévoit une période transitoire permettant de maintenir le statu quo jusqu’à fin 2020 (avec une éventuelle prolongation), en attendant l’accord définitive sur les relations futures.

Si le traité était ratifié :

-cela signifierait pour les entreprises la possibilité de poursuivre les relations sur la base notamment du marché unique et l’union douanière, pendant la période de transition.

-le Royaume-Uni sortira de l’UE à la date prévue, (actuellement le 12 avril sauf extension de délai de dernière minute), et ne fera plus partie de l’UE, qui ne sera pas sans conséquences juridiques pour certaines activités.

-un calendrier prévisible sera établi dans le cadre du traité et des négociations des relations futures, nécessitant, en tout état de cause, des adaptations définitives aux relations avec les entreprises britanniques, et les activités de filiales ou succursales britanniques, selon l’évolution de la situation, et au plus tard à la fin de la période transitoire.

Un protocole spécifique concernant l’Irlande du Nord (‘Northern Ireland Protocol’) (pour éviter une frontière dure entre les deux parties de l’Irlande) figure dans une annexe du traité de retrait. Dans le cas de prolongation des négociations des relations futures, l’Irlande du Nord restera alignée sur le marché unique ; et le reste du R-U restera dans l’Union Douanière (« backstop ») pour une période que ne devrait être temporaire, l’objectif étant d’éviter une frontière physique entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord.

Ce ‘backstop’ est jugé essentiel au maintien de la paix en Irlande du Nord. Malgré cela, il constitue une des raisons majeures, (mais pas la seule), du refus de ratification du traité de retrait par le Parlement britannique.

Une déclaration politique (‘Political Declaration’) sur la négociation d’un accord commercial, et d’autres aspects des relations futures, a également été négociée, qui indique les éléments essentiels des futures discussions.

Le gouvernement britannique et l’UE ont signé ces trois documents en novembre 2018. Du côté de l’UE, les accords ont été élaborés dans le cadre du mandat des 27 États membres.

L’UE a signifié qu’en aucun cas le traité de retrait ne sera renégocié ; mais qu’il reste possible de discuter des conditions de la déclaration politique, si le R-U modifiait ses lignes rouges pour envisager différents scénarios : union douanière ou participation à l’EEE, par exemple.

 

b) les deux scénarios possibles

1) Ratification du traité de retrait

Même si le Parlement a refusé 3 fois la ratification du traité négocié entre le gouvernement du Royaume-Uni et l’Union Européenne et signé en novembre 2018, il est encore possible qu’un compromis politique soit trouvé. Les discussions de la dernière chance se poursuivent à Londres actuellement entre les deux principaux partis politiques.

Un compromis tournerait autour de la Déclaration Politique qui traite des futures relations.

Mais les Conservateurs seront obligés d’abandonner une de leurs lignes rouges, notamment le maintien du Royaume-Uni dans l’Union Douanière, actuellement prôné par Labour. Il y aura peut-être un référendum pour confirmer la situation, ce qui prolongerait les incertitudes.

Même si cet accord politique était trouvé, il sera essentiel que le R-U propose une position et calendrier clairs avant le Conseil des Ministres de l’UE prévue le 10 avril ; et d’obtenir l’accord des autres 27 États membres pour une prolongation du délai accordé jusqu’au 12 avril, pour finaliser et négocier les conditions modifiées de la Déclaration Politique.

Selon les scénarios, si l’accord trouvé permettait une finalisation et mise en œuvre avant fin mai (échéance des élections européennes), le R-U sortirait le 22 mai et entrera dans une période de transition jusqu’à fin 2020, ou un peu au-delà.

Sinon, il sera nécessaire d’envisager un report de la sortie du R-U pour une période plus longue, vraisemblablement de plus d’un an (cas de référendum ou élections générales au R-U.) Dans ce cas, le R-U devrait participer aux élections européennes en juin.

 2) Sortie sans accord

Dans ce cas le R-U deviendra un pays tiers le 13 avril 2019, lendemain de la date ultimatum qui a été fixée par le Conseil de l’Europe.

Les tarifs et formalités douaniers applicables aux pays tiers s’appliqueront.

La libre circulation des personnes et des biens, ainsi que l’accès au marché unique et l’union douanière du R-U seront terminés. De multiples autres situations relevant du droit européen perdront leur base juridique actuelle.

Un accord dans le cadre de l’OMC devra être négocié.

Quoi qu’il en soit, le R-U sera contraint en droit international, au préalable, de négocier les conditions de son retrait de l’UE, et régler les questions en suspens (notamment financières), avant de pouvoir négocier un accord sur les relations commerciales futures.

Certaines tolérances transitoires seraient accordées par les autorités UE, et certains États, pour certains domaines d’activité tels que :

-le transport aérien, ferroviaire et routier

-les marchés financiers

-le séjour de citoyens britanniques dans les pays UE….

Mais, cela dépendra de la réciprocité qui serait accordée par le R-U au cas par cas. Pour l’instant des incertitudes existent également à ce sujet.

 

B) Quelques conséquences et questions (liste non-exhaustive)

Si le R-U sortait de l’UE sans accord de retrait et sans période transitoire ; on retrouverait parmi les conséquences prévisibles immédiates :

*les tarifs douaniers de pays tiers s’appliqueront sur les importations et exportations.

(Le R-U a déjà publié ses tarifs provisoires pour le cas de ‘no deal’)

https://www.gov.uk/guidance/check-temporary-rates-of-customs-duty-on-imports-after-eu-exit

Cette page contient un lien vers les tarifs et l’outil qui permet de vérifier quel tarif s’applique :

https://www.gov.uk/government/publications/temporary-rates-of-customs-duty-on-imports-after-eu-exit

A voir également :

https://www.gov.uk/government/collections/trading-with-the-eu-if-the-uk-leaves-without-a-deal

Il est proposé d’exempter de tarif un certain nombre de produits importés pour la période du 29 mars au 29 mars 2020.

Dans certains cas une taxe à la TVA est appliquée à l’importation (par exemple 20%) à vérifier pour le produit concerné. Le système actuel de la TVA intra-communautaire ne serait plus applicable (affectant les opérations et procédures en cours).

*les formalités douanières de pays tiers seront obligatoires pour import/export avec les risques de retards aux frontières, de rallongement de délais de livraison, affectant les chaines et les coûts d’approvisionnement et de fabrication…

https://www.gov.uk/guidance/customs-procedures-if-the-uk-leaves-the-eu-without-a-deal

 (N.B. à vérifier dans chaque cas les mises à jour des ces informations : tarifs douaniers et formalités sur le site .gov.uk)

*le droit UE ne s’applique plus dans le R-U. (Le R-U a prévu d’intégrer le droit européen dans son système de droit à la date de sortie, mais le gouvernement disposera du pouvoir de le modifier ou l’abroger à sa guise). En cas de litige devant les cours et tribunaux britanniques, le recours des justiciables britanniques et étrangers à la Cour de Justice de l’Union Européenne sera supprimé.

*la circulation des personnes (y compris pour le travail) sera limitée (Schengen 2 : visas sauf pour courts séjours)

Les deux scénarios évoqués posent également la question des conditions de poursuite de certains contrats ou activités la question ; voire même de leur pérennité.

Sans être exhaustif, on peut citer les points suivants à prendre en considération :

– la situation aux échéances possibles (e.g. le 12/04/19 et, éventuellement, la fin de toute période transitoire, ou toute autre période qui pourrait être éventuellement convenue entre le R-U et l’UE) ;

– les effets du Brexit sur les droits et obligations contractuels des parties, les coûts et responsabilités financières, et le rallongement de délais d’exécution…

– la circulation des personnes (salariés, détachements, citoyens…) résultant de l’arrêt des relations actuelles avec l’UE (visas et carte de travail et de séjour);

– les régimes réglementaires et agréments de produits et services objets de contrats entre les entreprises françaises et britanniques ;

– le régime des données, de la propriété intellectuelle et industrielle ;

– la situation fiscale notamment TVA intra-commuautaire, et droits de douane, taxes, fiscalité des groupes … ;

– le régime de la couverture sociale des salariés en détachement ou en déplacement

applicable après le 12/04/19, circulant entre la France et le R-U, pour assurer des prestations, le SAV… ;

-les régimes de responsabilité civile et la validité des polices d’assurance et leur adéquation à la nouvelle donne ;

– le contentieux et l’exécution de décisions de justice.

Il existe beaucoup d’autres difficultés, non traitées ici, notamment administratifs et réglementaires.

Pour ne prendre que l’exemple des contrats commerciaux en cours, voici une liste non-exhaustive de questions :

-nature de la livraison : import ou export et l’INCOTERM choisi (prise en charge des formalités douanières, paiement des droits, tarifs et taxes) ;

-risque de difficultés de circulation des marchandises, retards à la frontière et de délais de livraison, augmentation de coûts ;

date de signature du contrat (question de prévisibilité de difficultés à venir et de la force majeure lors de la signature).

Certains contrats signés depuis le référendum en 2016 (et même avant) contiennent des clauses « Brexit » qui définissent le cas de « non deal » comme étant un cas de force majeure.

-le Brexit rend-il l’exécution simplement plus difficile ou couteuse ou réellement impossible ?

-Quels étaient les délais de livraison prévus ? Sont-ils menacés ou rendus impossibles par le Brexit ?

– Quels loi et tribunal ont été choisis ?

 

Recommandations

Quelle que soit l’issue de la situation actuelle, il est recommandé aux entreprises de vérifier la situation contractuelle et réglementaire relative à leurs affaires et activités touchant le Royaume-Uni, car même en cas de période transitoire, certaines situations seront modifiées dès à présent ; et la situation sera modifiée de toute façon à son issue, et selon les accords commerciaux à long terme qui pourraient être négociés entre le Royaume-Uni et l’UE.

LexCase a un réseau informel de cabinets britanniques (‘best friends’) qui peuvent être consultés en cas de besoin.

Pour toute question à ce sujet contacter votre interlocuteur habituel au sein du cabinet LexCase.

 

 

Simon Wesley

Avocat Honoraire

Consultant International

LexCase Société d’avocats

swesley@lexcase.com

 

Hubert Mortemard de Boisse

Avocat à la Cour

Managing partner

Responable du département de droit commercial

LexCase Société d’avocats

hdeboisse@lexcase.com