[DROIT DES SOCIETES] Le créancier d’une société n’a pas qualité pour agir en désignation d’un administrateur provisoire

[DROIT DES SOCIETES] Le créancier d’une société n’a pas qualité pour agir en désignation d’un administrateur provisoire

Le créancier d’une société n’a pas qualité pour agir en désignation d’un administrateur provisoire
(Cass. com., 7 mai 2025, n° 23-20.471)

Par un arrêt rendu le 7 mai 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que le créancier d’une société ne dispose pas de la qualité pour demander la désignation d’un administrateur provisoire de celle-ci. Par cette décision, la Haute juridiction apporte une clarification importante quant à la recevabilité de cette demande, en précisant que la qualité pour agir ne peut être déduite du seul intérêt à agir.

La désignation d’un administrateur provisoire constitue une mesure exceptionnelle, justifiée uniquement lorsque deux conditions cumulatives sont réunies : l’impossibilité du fonctionnement normal de la société, et l’existence d’un péril imminent. L’administrateur provisoire est alors chargé de se substituer au dirigeant dans une mission temporaire de gestion, afin de préserver l’intérêt social ou de rétablir un fonctionnement sain de la structure.

Bien que cette procédure trouve sa source dans la pratique judiciaire, la Cour de cassation en a progressivement défini les contours. Il est acquis que l’action tendant à la désignation d’un administrateur provisoire n’est pas une action attitrée. Ainsi, toute personne justifiant d’un intérêt légitime peut, en principe, en solliciter la mise en œuvre. Ce principe est énoncé dans un arrêt très récent du 22 janvier 2025 (n° 22-20.526), dans lequel la Cour précisait néanmoins que l’action devait être exercée dans un intérêt autre que purement personnel.

Toutefois, l’arrêt du 7 mai 2025 réaffirme la distinction fondamentale entre l’intérêt à agir et la qualité pour agir. Ces deux notions, bien que proches, ne se confondent pas : si un intérêt légitime est nécessaire à la recevabilité d’une action, il ne confère pas automatiquement la qualité juridique pour l’intenter.

En l’espèce, deux sociétés appartenant au même groupe reprochaient à leur ancien dirigeant des détournements de fonds opérés au profit d’une autre société, dont ce dernier était également président. Ces sociétés ont saisi le juge des référés en qualité de créancières afin d’obtenir la désignation d’un administrateur provisoire chargé de gérer temporairement cette dernière société. Si la demande avait initialement été accueillie en première instance, la cour d’appel l’a infirmée en considérant que les conditions de fond, impossibilité de fonctionnement normal et péril imminent, n’étaient pas réunies.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation a dû répondre à la question suivante : le créancier d’une société a-t-il qualité pour agir en désignation d’un administrateur provisoire en raison de difficultés affectant le fonctionnement de cette société ? La Haute Juridiction y répond par la négative et juge de manière claire que : « le créancier d’une société n’a pas qualité pour agir en désignation d’un administrateur provisoire de celle-ci ». 

Au-delà de la solution rendue, cet arrêt s’inscrit dans un mouvement plus large de rationalisation du contentieux de la désignation des administrateurs provisoires. Il souligne que certaines catégories de personnes, ici les créanciers, sont exclues, par principe, de la faculté de solliciter cette mesure, indépendamment de la nature ou de la légitimité de l’intérêt qu’elles invoquent.

En définitive, la Cour de cassation opère une mise au point bienvenue sur les conditions d’accès à cette procédure particulière. Elle affirme que le créancier, malgré un intérêt évident à agir, ne dispose pas de la qualité juridique requise pour demander en justice la désignation d’un administrateur provisoire. Cette décision permet une lecture plus rigoureuse des mécanismes de représentation et de protection de l’intérêt social.

Article co-rédigé par Christophe BLUM, Avocat associé et Lou-Anne MAGRY, stagiaire.