[URBANISME – ENVIRONNEMENT] Contentieux permis de construire et voisin immédiat : la présomption d’intérêt à agir a ses limites !

[URBANISME – ENVIRONNEMENT] Contentieux permis de construire et voisin immédiat : la présomption d’intérêt à agir a ses limites !

Dans le cadre d’un arrêt récent rendu le 19 décembre 2024, le Conseil d’État vient rappeler que l’intérêt à agir contre un permis de construire ne résulte pas de la seule qualité de voisin immédiat du projet, et implique pour le requérant de faire état dans ses écritures d’une atteinte à ses intérêts résultant de la nature, de l’importance ou de la localisation du projet de construction autorisé.

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En droit, la recevabilité du recours introduit par un particulier contre une autorisation d’urbanisme est subordonnée à la démonstration par le requérant que le projet autorisé est de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance d’un bien qu’il occupe ou détient régulièrement (cf. art. L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme).

Aux termes de la jurisprudence, le voisin immédiat d’un projet soumis à permis de construire bénéficie toutefois d’une présomption simple d’intérêt à agir en application de ces dispositions (Cf. CE, 13 avril 2016, n°389798).

Dans ce cadre, la décision rendue par le Conseil d’État le 19 janvier 2024 (n°469266) a le mérite de rappeler que cette présomption n’est qu’une présomption simple, qui ne dispense en aucun cas le requérant de son obligation de faire état dans ses écritures d’une atteinte à ses intérêts résultant de la nature, de l’importance ou de la localisation du projet de construction autorisé.

À cet égard, le simple fait de faire état de la proximité du projet n’est pas suffisant pour justifier de l’intérêt à agir du requérant, quand bien même ce dernier se trouve être voisin immédiat du projet.

 

Pour mémoire, il résulte des dispositions de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme que la recevabilité du recours introduit par un particulier contre une autorisation d’urbanisme est subordonnée à la démonstration par le requérant que le projet autorisé est de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance d’un bien qu’il occupe ou détient régulièrement.

  • Cf. art. L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme :

« Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevables à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l’occupation ou à l’utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l’aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation. »

Pour l’application de ces dispositions, le requérant doit préciser dès l’introduction de sa requête l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt au regard de ces dispositions, en faisant état d’éléments suffisamment précis et étayés (CE, 10 juin 2015, n°386121). À défaut la requête peut être rejetée par ordonnance sans débat contradictoire (cf. CE, 10 févr. 2016, n°387507).

La jurisprudence a toutefois assoupli ce principe pour le voisin immédiat d’un projet soumis à permis de construire, qui bénéficie d’une présomption d’intérêt à agir (Cf. CE, 13 avril 2016, n°389798 ou CE, 24 février 2021, n°432096).

Cette présomption ne trouve certes à s’appliquer que lorsque le requérant a bien la qualité de voisin immédiat du projet autorisé. À défaut, le requérant reste tenu à peine d’irrecevabilité de justifier d’éléments suffisamment précis et étayés permettant d’établir une atteinte à ses conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance (Cf. CAA Marseille, 23 décembre 2020, n° 20MA02027, TA Cergy-Pontoise du 17 avril 2020, n° 1914931).

Reste que dans l’ensemble, la jurisprudence s’est montrée largement favorable aux requérants y compris lorsque ces derniers ne sont pas voisins immédiats du projet, en admettant par exemple, la recevabilité d’un recours introduit par le propriétaire d’un terrain nu faisant valoir qu’un projet était de nature à altérer la qualité d’un site naturel (CE, 3 avril 2020, M. Fontenay, n°419139).

Dans ce cadre, la décision rendue par le Conseil d’État le 19 janvier 2024 (n°469266) a le mérite de rappeler les limites à la présomption d’intérêt à agir dont bénéficie le voisin immédiat, en soulignant que cette dernière n’est qu’une présomption simple, qui ne dispense en aucun cas le requérant de son obligation de faire état dans ses écritures d’une atteinte à ses intérêts résultant de la nature, de l’importance ou de la localisation du projet de construction autorisé.

Au regard des faits d’espèce, il apparaît que le Conseil d’État a d’abord entendu sanctionner l’argumentation des requérants qui se limitaient principalement, comme c’est souvent le cas dans ce type de contentieux, à se prévaloir de la proximité du projet, sans préciser en quoi cette dernière était de nature à porter atteinte aux conditions d’occupation de leur bien.

Le Conseil d’État refuse également de prendre en considération l’existence d’un litige en bornage entre les requérants et le pétitionnaire, au motif fort compréhensible que ce contentieux ne présente pas de lien direct avec la nature l’importance ou la localisation du projet autorisé.

  • CE, 19 janvier 2024, 469266

« Pour retenir que M. et Mme A…, dont il est constant qu’ils sont des voisins immédiats de la parcelle sur laquelle le projet doit être réalisé, disposaient d’un intérêt leur donnant qualité pour agir, la Cour administrative d’appel de Marseille s’est fondée, d’une part, sur ce que les intéressés avaient notamment fait état d’un litige portant sur la détermination d’une servitude de passage sur leur fonds au bénéfice du pétitionnaire et, d’autre part, sur ce que la construction d’une maison individuelle et d’un garage était de nature à porter atteinte aux conditions de jouissance de leur propriété, notamment à leur vue et à leur tranquillité. Toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et notamment des différents mémoires produits par M. et Mme A…, tant en première instance qu’en appel, que les intéressés se sont bornés à faire état de la proximité immédiate de leur propriété avec celle du projet, ainsi que de l’existence d’un litige de bornage avec leur voisin. En se fondant, ainsi, d’une part, sur un litige judiciaire sans lien avec la nature, l’importance ou la localisation du projet de construction, et, d’autre part, sur des éléments relatifs aux conditions de jouissance de leur bien par M. et Mme A… dont les intéressés ne faisaient nullement état dans leurs écritures, la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit. Par suite, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la SARL société de développement rural est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.”

Cette décision présente à cet égard des vertus pédagogiques pour les futurs requérants, qui seront désormais bien avisés de ne pas se retrancher derrière la présomption d’intérêt à agir dégagée par la jurisprudence.

 

Article rédigé par Alexandre Lo-Casto Porte de l’équipe de Droit de l’Urbanisme et de l’Aménagement.