[INDUSTRIES DES PRODUITS DE SANTÉ] Proposition de Directive sur la responsabilité des produits défectueux : où en-est-on ?

[INDUSTRIES DES PRODUITS DE SANTÉ] Proposition de Directive sur la responsabilité des produits défectueux : où en-est-on ?

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Les travaux de l’Union Européenne (UE) portant sur la proposition de Directive sur la responsabilité des produits défectueux (Proposition de Directive) ont abouti le 12 mars 2024 à l’adoption par le Parlement Européen d’un texte modifié (la Proposition Actualisée).

Alors que le régime actuel a plus de 40 ans et dans un contexte d’émergence de nouvelles technologies et de pérennisation du commerce en ligne, le nouveau texte vise à faciliter l’indemnisation des dommages causés par des produits défectueux, tout en contribuant au bon fonctionnement du marché et en assurant la sécurité juridique des opérateurs économiques.

LexCase vous propose un état des lieux des innovations principales du texte adopté par le Parlement Européen.

 

1. Un accès à l’indemnisation facilité pour les victimes

  • La notion de défaut(1)  est élargie et précisée par la Proposition Actualisée au travers, notamment, de l’évocation de tout rappel de produit ou toute autre intervention pertinente d’une autorité compétente ou d’un opérateur économique et de celle de tout manquement du produit à sa finalité lorsque celle-ci porte sur la prévention des dommages.
  • L’une des innovations principales de la Proposition de Directive est le recours aux présomptions de défectuosité et de lien de causalité, allégeant la charge de la preuve du demandeur.

– La présomption de défaut est réputée établie lorsque le défendeur n’a pas divulgué les éléments de preuve pertinents, si le demandeur démontre que le produit n’est pas conforme aux exigences obligatoires en matière de sécurité des produits ou encore si le dommage a été causé par un dysfonctionnement manifeste du produit lors d’une utilisation raisonnablement prévisible ou dans des circonstances normales(2).

– La présomption de lien de causalité s’applique lorsqu’il a été établi que le produit est défectueux et que le dommage causé est d’une nature généralement propre au défaut en question(3).

Le recours aux présomptions est admis, malgré la production d’éléments de preuve et compte tenu de toutes les circonstances pertinentes, dans l’hypothèse où le demandeur fait face à des difficultés excessives de preuve, notamment issues de la complexité technique ou scientifique et dans celle où il démontre qu’il est probable que ces conditions soient remplies(4).

Il est acquis que le défendeur a le droit de renverser toute présomption(5).

  • La Proposition de Directive inclut dans le champ des dommages couverts les dommages psychologiques(6), dans la mesure où ils affectent l’état de santé général de la victime et pourrait nécessiter une thérapie ou un traitement médical, compte tenu, entre autres, de la classification internationale des maladies établie par l’OMS. Sont également inclus dans le champ des dommages réparables la destruction ou la corruption de données non utilisées exclusivement à des fins professionnelles(7). La Proposition révoque en outre le seuil minimal de réparation de 500 euros pour les dommages matériels.
  • Une obligation de divulgation des preuves est également proposée, autorisant les juridictions nationales à demander au défendeur de divulguer les preuves « nécessaires et proportionnées », sur demande du demandeur qui a fourni des éléments suffisants(8). En contrepartie, des garanties strictes sont introduites, visant notamment à protéger les informations couvertes par le secret des affaires. À noter toutefois que des garanties similaires existent déjà en droit français(9). La Proposition Actualisée étend le bénéfice de cette disposition au défendeur qui, ayant lui-même divulgué des preuves, peut également solliciter la diffusion de preuves par le demandeur, à condition qu’il apporte suffisamment d’éléments pour prouver qu’elles sont nécessaires à sa défense.

2. Les opérateurs économiques susceptibles d’engager leur responsabilité

  • Le principe de la responsabilité du fabricant du produit défectueux est affirmé. Celle-ci comprend désormais celle du fabricant d’un composant défectueux, lorsque ce composant a été intégré dans un produit ou interconnecté avec celui-ci sous le contrôle du fabricant et a causé le défaut du produit et ce, sans préjudice de la responsabilité du fabricant du produit(10).
    Lorsque ceux-ci sont établis en dehors de l’UE, et sans préjudice de leur responsabilité, cette responsabilité est étendue à l’importateur du produit ou du composant défectueux, au mandataire du fabricant et, à défaut, au prestataire de services d’exécution des commandes(11). Au bénéfice de la Proposition Actualisée, lorsque plus d’un opérateur économique est responsable du même dommage un opérateur économique qui a accordé une réparation à la personne lésée a le droit d’exercer un recours contre tout autre opérateur économique responsable(12).
  • La Proposition de Directive consacre la responsabilité de toute personne hormis le fabricant, intervenant de manière substantielle sur la structure ou le fonctionnement d’un produit qui serait défaillant(13). Celle-ci est alors considérée comme un fabricant de ce produit modifié et devient pleinement responsable des dommages causés par ce produit. Une telle modification substantielle par un tiers exonèrera alors le fabricant initial, à condition que cette modification ne soit pas effectuée sous sa surveillance(14). Une modification apportée à un produit après sa mise en service est considérée comme « substantielle » si elle modifie la performance, la destination ou le type d’origine du produit sans que cela ait été prévu dans l’évaluation initiale des risques par le fabricant et si elle modifie la nature du danger, créé un danger ou augmente le niveau de risque(15).
  • La Proposition Actualisée ajoute qu’à défaut de responsable solvable, les États membres peuvent utiliser les régimes nationaux de réparation sectoriels existants ou en créer de nouveaux en vertu du droit national, de préférence non financés par des recettes publiques(16).

3. L’évolution des délais de prescription et d’expiration de l’action

  • Si la réforme maintient le double délai de prescription de 3 ans et d’extinction de l’action de 10 ans(17), elle précise désormais que le délai d’extinction commence à courir, soit à compter de la mise sur le marché ou mise en service du produit, soit à compter de la mise à disposition sur le marché ou en service d’un produit substantiellement modifié, à la suite de cette modification substantielle(18).
  • Par ailleurs, un délai d’expiration est porté à 25 ans dans les cas où des preuves médicales montrent que les symptômes d’une lésion corporelle sont d’apparition lente(19).

4. L’adaptation du régime aux nouvelles technologies

  • La Proposition de Directive inclut les logiciels et systèmes d’intelligence artificielle dans son champ d’application. La Proposition Actualisée précise toutefois que les logiciels libres et ouverts fournis hors activité commerciale en sont exclus(20), comme le contenu des fichiers numériques, considéré comme des informations.
  • Le régime déployé s’étend également aux services numériques intégrés ou interconnectés (« services connexes »), considérés comme des composants du produit lorsqu’ils sont sous le contrôle du fabricant du produit auquel ils sont intégrés ou interconnectés(21) (comme un service de surveillance de la santé qui s’appuie sur des capteurs d’un produit physique pour suivre l’activité physique ou les mesures de santé de l’utilisateur). Ils sont considérés comme étant sous son contrôle, notamment, si le fabricant autorise ou accepte leur intégration, interconnexion ou fourniture par un tiers. En outre, un fabricant qui conçoit un produit capable de développer un comportement inattendu devra rester responsable d’un comportement causant un dommage(22).
  • La Proposition Actualisée réduit également le droit de recours du fabricant intégrant un logiciel défectueux selon la taille de l’entreprise ou les accords contractuels convenus(23).

Après l’adoption du texte par le Parlement Européen le 12 mars dernier, le processus d’adoption du texte se poursuit. La Proposition Actualisée est soumise pour étude au Conseil, qui pourra formuler de nouveaux amendements ou l’approuver formellement en l’état. Dans ce second cas, la Directive serait considérée comme adoptée en première lecture et entrera en vigueur 20 jours après sa publication au Journal Officiel de l’UE. Une période de transposition de 24 mois débutera(24).

 

 (1) Article 7 de la Proposition Actualisée
(2) Article 10 de la Proposition Actualisée
(3) Article 10 de la Proposition Actualisée
(4) Article 10, 4. a) et b) de la Proposition Actualisée
(5) Article 10, 5. de la Proposition Actualisée
(6) Article 1, a), de la Proposition Actualisée

(7) Article 1, b), iii) de la Proposition Actualisée
(8) Article 9 de la Proposition Actualisée
(9) Référé 145, Art. L. 151-1 et L. 151-3 du Code de commerce
(10) Article 1, b), ii) de la Proposition Actualisée
(11) Article 8 de la Proposition Actualisée
(12) Article 14 de la Proposition Actualisée
(13) Article 8, 2. de la Proposition Actualisée
(14) Article 11, 2. d) de la Proposition Actualisée
(15) Article 4, 18. de la Proposition Actualisée
(16) Article 8, 15. de la Proposition Actualisée
(17) Une prescription trois ans à partir de de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du producteur et un délai d’extinction de l’action de dix ans à compter de la mise sur le marché du produit, selon l’article 10 de la Directive sur la responsabilité du fait des produits défectueux du 25 juillet 19852 actuellement en vigueur
(18) Article 17, 1. De la Proposition Actualisée
(19) Article 17 – Délai d’expiration. La proposition précédente prévoyait un délai de prescription de 15 ans qui a été largement élevé afin de s’adapter à ladite situation (25 ans).
(20) Article 2 de la Proposition Actualisée
(21) Article 4, 1. de de la Proposition Actualisée
(22) Article 8. 1 de la Proposition Actualisée
(23) Article 14 de la Proposition Actualisée
(24) Article 22 de la Proposition Actualisée