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Peut-on déduire les intérêts d’emprunt finançant un rachat de ses propres titres par la société ?
Conseil d’Etat, 15 févr. 2016, n°376739, « SNC Pharmacie Saint-Gaudinoise c/ Min. Finances »
Les opérations de rachat par une société de ses propres titres bénéficient aujourd’hui d’un regain d’intérêt. En effet, depuis le 1er janvier 2015, l’imposition de l’actionnaire cédant ne relève plus d’un régime « hybride » de taxation (dividende et plus-value), mais exclusivement du régime des plus-values sur valeurs mobilières.
Or, pour les personnes physiques, ce régime peut être très favorable : la plus-value est soumise au barème progressif de l’impôt sur le revenu, après application d’un abattement pouvant atteindre 85%, sous certaines conditions. A titre de comparaison, les dividendes sont également soumis au barème progressif de l’impôt, mais après application d’un abattement forfaitaire de 40%.
Le Conseil d’Etat s’est prononcé sur le cas particulier d’un rachat de titres détenus par des associés personnes physiques, financé par l’entreprise, non sur ses fonds propres, mais par endettement.
L’administration fiscale avait remis en cause la déduction des intérêts de l’emprunt contracté, au motif que la société n’avait pas agi dans son intérêt propre, mais dans celui de ses associés, ce qui était qualifié de « prélèvement au profit des associés » par la CAA.
Le Conseil d’Etat a annulé cette décision, estimant que les juges du fond n’avaient pas recherché l’intérêt éventuel de l’entreprise dans cette opération ; or :
- Le Conseil d’Etat valide tout d’abord le fait qu’un rachat de titres n’impacte pas l’actif net de l’entreprise (y compris lorsque les titres sont rachetés à une valeur supérieure à leur valeur nominale) ; cette opération est donc « neutre » au plan fiscal et, par nature, un rachat de titres ne devrait donc pas pouvoir s’analyser comme un « acte anormal de gestion ».
- En revanche, lorsque le rachat est financé par emprunt, le Conseil d’Etat admet la possibilité de remettre en cause la déduction des intérêts si « l’opération de rachat financée par ces emprunts n’a pas été réalisée dans l’intérêt de l’entreprise ».
La motivation de l’arrêt du Conseil d’Etat nous semble préoccupante, voire dangereuse.
En effet, au cas particulier, l’emprunt ne finance pas une dépense qui relève de la gestion de l’entreprise, mais il est la conséquence directe de la décision des actionnaires de procéder à un rachat de leurs titres. Cette décision, comme une distribution de dividendes, s’impose à l’entreprise, et la théorie de l’acte anormal de gestion ne devrait pas trouver application dans cette hypothèse.
Si l’on suit cette analyse, le jeu est perdu d’avance : on ne trouvera pas « d’intérêt de l’entreprise » dans une opération de rachat de titres ou de versement de dividendes, puisque l’on prive nécessairement la société d’une partie de sa trésorerie. La question même résulte d’un contresens : bien naturellement les actionnaires ont le droit de préserver leurs intérêts financiers propres, alors même que ceux-ci ne seraient pas parfaitement et systématiquement compatibles avec celui de la société. Tout est une question d’équilibre et d’arbitrage, sous la responsabilité de ces mêmes actionnaires.
Un tel exercice nous semble conduire à une immixtion – pourtant jusqu’alors rejetée par la jurisprudence du Conseil d’Etat – dans les décisions des actionnaires. Il convient donc de s’opposer à une telle analyse qui, en pratique, autoriserait l’administration fiscale ou le juge de l’impôt à considérer qu’une distribution à l’actionnaire est « normale » ou « anormale », en fonction des conséquences financières pour l’entreprise.