La transmission du décompte général avec réserves par le titulaire : Le contrat et rien que le contrat

La transmission du décompte général avec réserves par le titulaire : Le contrat et rien que le contrat

La transmission du décompte général avec réserves par le titulaire : Le contrat et rien que le contrat

En l’absence de clauses contractuelles permettant une transmission par voie électronique, l’envoi par mail de réserves sur un décompte général n’est pas une modalité de communication opposable à l’administration (CE, 15 mars 2019, Systra, n°416571).

Les faits

En 2011, SNCF Réseau a conclu avec la société Systra un marché de prestation intellectuelle consistant en la réalisation d’études environnementales, techniques et ferroviaires pour la construction d’une liaison ferroviaire entre Montpellier et Perpignan. A l’occasion de l’élaboration du décompte général, la société Systra a fait le choix de notifier ses réserves sur le décompte par courrier électronique et par LRAR.

Date Faits
19 juillet 2013 Systra envoie (i) un mémoire de demande de rémunération complémentaire et (ii) un projet de décompte final
03 septembre 2013 SNCF Réseau rejette le mémoire de demande de rémunération complémentaire et notifie le décompte général signé
17 octobre 2013 Systra envoie par courrier électronique et par LRAR les réserves sur le décompte général
18 octobre 2013 Expiration du délai contractuel de 45 jours pour formuler des réserves
22 octobre 2013 Réception des réserves de Systra par LRAR
 

Un total de 45 jours

 

D’un côté, SNCF Réseau considère que les réserves formulées par la société Systra sur le décompte général signé ne sont pas valables parce qu’elles ont été notifiées après l’expiration du délai de transmission prévu dans le contrat. Le silence de la société Systra doit s’interpréter comme rendant définitif le décompte général du 3 septembre.

De l’autre côté, la société Systra considère que les réserves qu’elle a formulées sont valables dès lors qu’elles ont été adressées par mail et par LRAR avant 18 octobre peu important la date de réception du courrier.

Le juge devait alors se prononcer sur deux questions :

  • La transmission par mail du décompte général signé avec réserves est-elle contractuellement possible ?
  • Dans la négative, est-ce la date d’envoi ou la date de réception du décompte général avec réserves qui fait foi ?

Confirmant la décision de la Cour administrative d’appel de Paris[1], le Conseil d’Etat donne raison à SNCF Réseau en adoptant une lecture littérale et stricte des clauses contractuelles.

 

Apport #1 : le mail n’est pas une modalité de communication valable en l’absence de clauses contractuelles

Aux termes du contrat (clauses générales et particulières), la transmission du décompte général avec réserves par courriel n’était pas autorisée.

CCCG-PI de SNCF Réseau
 Un document qui marque le point de départ d’un délai :

(i)             doit être remis au destinataire contre récépissé ;

(ii)            ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception postal ;

(iii)            ou si le marché l’autorise, toute autre forme de transmission peut être utilisée à condition qu’elle permette de déterminer de manière certaine le signataire du document et la date de remise.

CCAP du marché
Un document qui marque le point de départ d’un délai :

(i)              doit être remis au destinataire contre récépissé ;

(ii)            ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception postal.

 

En appliquant strictement les stipulations du marché sur les modes de transmission admis, le juge estime que SNCF Réseau n’était pas tenu de prendre en compte le décompte général signé avec réserves envoyé par courriel le 17 octobre 2013, par la société Systra, dès lors qu’il ne s’agissait pas d’un mode de transmission qui était autorisé par le contrat.

Si l’approche du juge peut sembler sévère, elle ne reflète que les clauses du contrat sur ce point.

 

Apport #2 : seule importe la date de réception du courrier et non la date d’envoi

Le CCAP du marché litigieux prévoyait que le titulaire dispose d’un délai de 45 jours à compter de la notification du décompte général signé par le maître d’ouvrage pour « signer et renvoyer » à SNCF Réseau le décompte général signé avec ses réserves.

Le Conseil d’Etat considère logiquement que cette disposition implique que la réception – et non le simple envoi – du courrier soit effective avant l’expiration du délai. Le titulaire doit à ce titre accomplir « les diligences minimales pour permettre que son courrier, dans des conditions normales d’acheminement puisse être reçu par le maître d’ouvrage avant l’expiration du délai ». En postant le courrier la veille de l’expiration du délai, la société Systra n’a donc pas effectué les diligences minimales en vue de respecter le délai[2]. Il en aurait été probablement autrement en cas de retard anormal d’acheminent du courrier ou de grève du transporteur.

 

En résumé

  1. Toutes les transmissions de documents – et plus spécialement les mémoires en réclamation ou les réserves sur le décompte général – entre le titulaire et l’administration cocontractante doivent s’effectuer selon les modes autorisés par le contrat. Autrement dit, un document transmis selon un autre mode est inopposable au maître d’ouvrage.
  2. L’article 3.1 des CCAG Travaux, Fournitures courantes et services et Prestations intellectuelles (2009) qui autorisent les notifications par échanges dématérialisés :
    • Ne vise que les notifications faites au titulaire par le pouvoir adjudicateur ;
    • Et conditionne cette possibilité à la fixation dans les clauses particulières du marché, des conditions d’utilisation des moyens dématérialisés.
  1. Les règles de computation des délais en matière contractuelle prennent en compte la réception plutôt que l’envoi des documents. Il appartiendra au juge de déterminer les cas où, même notifiés tardivement, les réserves ou mémoires en réclamation sont néanmoins opposables au maître d’ouvrage du fait de l’accomplissement « des diligences minimales » par le titulaire pour que son courrier soit notifié dans les délais.

 

[1] CAA Paris, 17 octobre 2017, n°15PA03384
[2] Confirmant CE, 21 février 2000, n°206581

 

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