[DROIT DES ASSURANCES] La distribution d’assurance encadrée par une nouvelle recommandation de l’ACPR

[DROIT DES ASSURANCES] La distribution d’assurance encadrée par une nouvelle recommandation de l’ACPR
13/09/2023 , 02h31 Droit des Assurances

La nouvelle recommandation émise par l’ACPR le 17 juillet 2023(1) concerne la gouvernance, la surveillance des produits d’assurance, ainsi que la politique de rémunération et de gestion des conflits d’intérêts, et sera applicable le 1er janvier 2024.

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Constatant de nombreuses carences en matière de protection de la clientèle, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) vient rappeler les principales exigences pesant sur les distributeurs de contrats d’assurance ainsi que sur les concepteurs de produits d’assurances et les assortit de bonnes pratiques.

Le Superviseur précise ses exigences en termes de modalités d’analyse et de suivi via des grilles d’analyse, des indicateurs objectifs, ainsi que la mise en place de tests et un mécanisme de révision pour la gouvernance produits.

L’ACPR détaille, par ailleurs, ses attentes en matière de pilotage des distributeurs directs par les concepteurs et les courtiers grossistes en prescrivant à ces derniers un dispositif de sélection des distributeurs et l’obligation de fournir des informations suffisantes sur le produit à leurs réseaux de distribution.

Enfin, la nouvelle recommandation décrit les obligations applicables en matière de politique de rémunération et de gestion des conflits d’intérêts, et précise les pratiques à proscrire en la matière.

 

1) Une piqûre de rappel nécessaire faisant suite aux dérives constatées

Cette nouvelle recommandation de l’ACPR s’inscrit dans la lignée des constats émis par le Superviseur en matière de distribution d’assurance lors de sa conférence du 5 décembre 2022(2) et de sa publication en avril dernier(3). 7 ans après l’entrée en vigueur de la Directive Distribution en Assurance (DDA)(4) qui est venue encadrer cette activité, précisant les attendus notamment en matière de gouvernance et de surveillance produits, d’information et de conseil, de politique de rémunération, de conflits d’intérêts, l’ACPR relève encore de nombreuses défaillances lors de ses contrôles réalisés auprès des distributeurs, et ce, au détriment de la protection de la clientèle.

2) Un périmètre d’application large

Les distributeurs concernés sont les entreprises d’assurance régies par le Code des assurances, les mutuelles ou unions régies par le livre II du Code de la mutualité, les institutions de prévoyance ou unions régies par le Code de la Sécurité sociale, les organismes de retraite professionnelle supplémentaire, et les intermédiaires d’assurance, y compris lorsque ces organismes d’assurance ou intermédiaires d’assurance interviennent en France en libre prestation de services ou en libre établissement.

L’ACPR intègre également les concepteurs et les professionnels du secteur assurantiel animant un réseau de distribution, c’est-à-dire les courtiers grossistes, dans le champ d’application de cette recommandation, puisque ces derniers sont en charge de la stratégie de distribution et de son articulation avec le marché cible.

Cette recommandation pose désormais les attendus précis du Superviseur en la matière, qui serviront, d’un point de vue pratique, de points de vérification à adopter par les distributeurs dans le cadre de leur dispositif de contrôle interne.

3) Des exigences adaptées selon le type de produit d’assurance

Dans l’énumération des bonnes pratiques qu’elle recommande, l’ACPR a opéré une distinction entre les obligations visant les produits de capitalisation et d’assurance-vie comportant une valeur de rachat ou de transfert et investis totalement ou partiellement en unités de compte traitées en première partie, et les obligations visant les autres produits d’assurance traitées en seconde partie. Cette différence de traitement s’explique par une volonté d’adapter et de renforcer les obligations des distributeurs face aux enjeux plus élevés pour la clientèle que représentent les produits de capitalisation et d’assurance-vie.

4) Des modalités d’application concrètes 

Les exigences en matière de produits de capitalisation et d’assurance-vie

La gouvernance produits via une grille d’analyse et des indicateurs objectifs

La recommandation précise de façon détaillée les exigences de l’ACPR en termes de suivi et d’outil.

Ainsi les acteurs de la distribution devront mettre en place une grille d’analyse et déterminer des critères objectifs de suivi des produits. Ces outils, selon l’ACPR, ont pour but de s’assurer de l’adaptation du produit au marché cible, dès sa conception, puis tout au long de son cycle de vie, en mesurant la complexité du produit et en vérifiant la cohérence entre le niveau de granularité du marché cible et le niveau de complexité du produit ainsi déterminé.

L’ACPR énumère des critères à utiliser pour définir le marché cible :

  • Les connaissances et l’expérience du client cible,
  • Sa situation personnelle et financière,
  • Sa tolérance au risque et sa capacité à subir des pertes,
  • Ses objectifs et ses besoins.

Ces critères devront être définis clairement.

L’ACPR admet la possibilité de segmenter le marché en sous-groupes de clients ayant des profils distincts à condition de ne pas dépasser un nombre raisonnable, soit 3 à 6 sous-groupes selon la complexité et les modes de gestion proposés.

La mise en place de tests

Les concepteurs des produits devront mettre en place des tests pour s’assurer que les coûts du produit sont proportionnés aux bénéfices attendus pour le marché cible identifié et que ces coûts sont identifiés et justifiés en cohérence avec les dépenses effectivement engagées pour la conception, la gestion et la distribution du produit.

La surveillance du produit tout au long de son cycle de vie

De nombreuses obligations sont mises à la charge des concepteurs puisqu’ils devront :

  1. Surveiller les produits, identifier les événements pouvant affecter le produit dans ses caractéristiques principales, la couverture des risques ou les garanties,
  2. Évaluer la cohérence du produit avec les besoins, objectifs, caractéristiques de chaque segmentation du marché cible identifié,
  3. Examiner les performances des supports d’investissement via une comparaison avec les performances nettes de supports similaires sur le marché.
  4. Prendre des mesures appropriées en cas de circonstance pouvant avoir un effet négatif sur le marché cible.

En cas d’évolution du produit, la grille d’analyse et les indicateurs objectifs permettront aux distributeurs de justifier les adaptations envisagées et de déterminer si cette modification a un caractère significatif ou non.

Une stratégie de distribution efficace

En matière de politique de distribution, l’ACPR vise directement les concepteurs et les courtiers grossistes qu’il nomme ainsi expressément (via une note en bas de page) pour définir les professionnels du secteur assurantiel animant un réseau de distribution.

Plusieurs obligations sont mises à leur charge :

a) La mise en œuvre d’une stratégie de distribution cohérente avec le marché cible et chacune de ces éventuelles segmentations, mais également respectueuse de l’intérêt des adhérents ou souscripteurs.

b) La vérification périodique de la stratégie de distribution, qui permettra de s’assurer que la distribution du produit respecte le marché cible défini. La recommandation suggère ainsi la mise en œuvre d’audit auprès des distributeurs.

L’ACPR n’apporte pas d’autre détail supplémentaire, à part la notion de « mesures proportionnées » pour réaliser cette vérification. Il faut donc se référer à la publication de l’ACPR d’avril 2023(2) pour avoir une idée des attendus du Superviseur en la matière et qui recouvrent l’analyse de dossiers de souscription, l’analyse d’écoutes des appels de vente, la vérification des motifs de réclamations, la mise en place d’un suivi d’indicateurs sur le taux de chute, le taux de réclamations… concernant les souscriptions réalisées par courtiers directs,  le recueil des alertes émanant des courtiers distributeurs si ces derniers constatent « des répercussions défavorables pour les clients ».

Remarque :  il est dommage que la recommandation n’indique pas expressément ses attendus en matière de contrôle périodique à réaliser sur les distributeurs directs, puisqu’en tant que professionnels indépendants, ces derniers seraient en droit de refuser les demandes de contrôles ou d’audit émanant des courtiers grossistes, car ils pourront les estimer disproportionnées par rapport au but poursuivi, voire intrusives.

Pour éviter cet écueil, il est important pour toutes les parties de prévoir, dans le contrat de distribution, une clause exhaustive sur les modalités des contrôles (permanents et périodiques) que les concepteurs et courtiers grossistes déploieront dans le cadre de l’animation de leurs réseaux de distribution, notamment en définissant les modalités des actions de contrôle, leur fréquence, leur périmètres, etc.

c) La mise en place d’un dispositif de sélection des distributeurs, comportant la collecte d’information et des critères objectifs, permettant de vérifier que ces derniers sont bien en mesure de distribuer le produit en cohérence avec la stratégie de distribution.

d) La mise à disposition aux distributeurs d’une liste d’informations leur permettant de vérifier que leurs clients entrent bien dans le marché cible défini.

L’ACPR prend soin de bien préciser que « la transmission de ces informations n’exonère pas le distributeur de ses obligations légales et réglementaires, notamment le devoir de conseil. ».

e) L’intégration dans le dispositif de contrôle interne, des bonnes pratiques issues de la recommandation notamment concernant le dispositif de sélection des distributions.

f) La mise en place d’actions de remédiation en cas d’inadaptation de la stratégie de distribution conduisant à une situation où la distribution serait contraire aux intérêts des clients.

L’ACPR cite plusieurs possibilités d’actions correctives telles que la suppression de canaux de distribution, la cessation de conventions avec des distributeurs à l’origine de ces situations, la modification de la structure de rémunération des distributeurs voire la cessation de la commercialisation du produit

Conflit d’intérêts et politique de rémunération

L’ACPR impose clairement de ne pas mettre en place une politique de rémunération, quelle que soit sa forme, qui serait susceptible d’avoir un effet négatif sur la qualité du service fourni en incitant les distributeurs à proposer un produit, une opération ou une allocation en raison de sa rémunération plus avantageuse au détriment du souscripteur ou de l’adhérent.

Ainsi, par exemple, une rémunération variable uniquement fondée sur des données commerciales quantitatives (volumes des ventes) serait susceptible d’avoir un effet négatif sur la qualité du service fourni. De même, une politique d’appréciation et d’évaluation du personnel affecté à la vente qui pourrait affecter leur obligation d’agir au mieux des intérêts du souscripteur ou de l’adhérent devra être proscrite.

Il convient de noter que le Superviseur impose aux concepteurs de prévoir l’application de ces recommandations dans toutes les conventions de distribution, et au plus tard le 1er janvier 2025 pour les conventions de distribution déjà conclues.

L’ACPR renforce les contrôles à réaliser dans le cadre du contrôle interne, puisque le Superviseur impose d’intégrer des points de contrôles sur le respect de la politique de rémunération via notamment le contrôle de la conformité des opérations de distribution au regard des intérêts de la clientèle.

Remarque sur les produits d’assurance de groupe sur la vie comportant des valeurs de rachat ou de transfert :

La situation dans laquelle le distributeur commercialise un produit qu’il a lui-même souscrit au profit de ses clients, présente un risque de conflit d’intérêts, qui impose au distributeur la mise en place d’actions concrètes, par exemple :

  • La justification de la prise en compte des intérêts des adhérents lors des modifications contractuelles,
  • La proposition de transformation du contrat en un contrat strictement identique souscrit par une autre structure auprès du même assureur,
  • La mise en place d’un système de gouvernance comportant une représentation des intérêts du client, indépendante de ceux de l’assureur et du distributeur.

S’il n’est pas possible de mettre en œuvre ces actions, alors le distributeur devra informer les adhérents de façon claire et exhaustive sur le risque de conflit d’intérêts et ses implications.

Des exigences similaires pour les autres produits d’assurance

Les bonnes pratiques du Superviseur reprennent celles listées pour les produits de capitalisation et d’assurance vie en matière de gouvernance produit, de stratégie de distribution, de politique de rémunération et de gestion des conflits d’intérêts, et de dispositif de contrôle interne, mais elles ont été adaptées à cette typologie de produits d’assurance en apportant des exemples concrets.

La gouvernance produit : un suivi des produits d’assurance pendant tout son cycle de vie

Ainsi, en matière de gouvernance produit, la mise en place d’une grille d’analyse avec des critères objectifs n’est exigée que pour les adaptations des produits et non dès la conception.

Les concepteurs devront être en capacité de justifier si les modifications mises en œuvre sont des modifications significatives. Cela concerne les modifications suivantes :

  • L’ajout, modification ou suppression d’une garantie, d’une condition de mise en jeu ou d’une exclusion de garantie ;
  • Les modifications relatives au tarif du produit, aux garanties de fidélité et aux modalités contractuelles de calcul et d’attribution de la participation aux bénéfices ;
  • Les modifications relatives à l’étendue de l’indemnisation (dont franchises et plafonds);
  • L’ajout, la modification ou la suppression d’une déchéance de garantie ;
  • Les modifications tarifaires qui ne résultent pas d’une clause d’indexation.

Des tests et un suivi doivent également être réalisés pendant tout le cycle du produit, afin de vérifier que celui-ci continue d’apporter un intérêt au client.

La stratégie de distribution et la sélection des distributeurs directs sur des critères de conformité

Concernant la stratégie de distribution, il convient de préciser que le mécanisme de sélection des distributeurs par les concepteurs et courtiers grossistes devra comprendre un dispositif permettant de vérifier que le distributeur dispose des moyens lui permettant de proposer les produits d’assurances en toute conformité. Ainsi, par exemple, ce dernier doit être en mesure de procéder à l’enregistrement et à la conservation des appels en cas de démarchage téléphonique lorsque la stratégie de distribution prévoit le recours à ce mode de démarchage ; il doit également disposer d’un processus de suivi et de traitement des réclamations.

La spécificité de l’assurance emprunteur

Enfin, en matière d’assurance emprunteur, les exigences de la nouvelle recommandation concernent particulièrement les produits d’assurance proposés lors de la mise en place d’un crédit, et dont la souscription conditionne bien souvent l’obtention de celui-ci. Le Superviseur vise donc tout particulièrement les pratiques parfois anti-concurrentielles de certains établissements financiers dans ce secteur.

L’ACPR recommande ainsi de manière expresse de ne plus proposer des incitations financières ou commerciales, de nature à constituer une condition d’accès à une tarification privilégiée d’un crédit, pour favoriser la souscription d’une assurance emprunteur produite par une entité assurantielle du groupe auquel le distributeur appartient.

Par ailleurs, les distributeurs doivent veiller à ne pas conditionner un taux d’emprunt plus bas à la souscription d’autres produits d’assurance du groupe, sans s’assurer au préalable que ces derniers sont cohérents avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ou de l’adhérent éventuel.

Comme pressenti lors de la publication de l’article du Superviseur en avril dernier(3), les concepteurs et les animateurs de réseaux de distribution seront désormais au premier plan dans cette mise en conformité et donc dans la régulation du marché de la distribution d’assurance.

La liste des exigences ainsi dressée et les rôles distribués, les acteurs de la distribution devront mettre en conformité leur politique de distribution dès le 1er janvier 2024.

 

(1) Recommandation 2023-R-01 du 17 juillet 2023 sur la mise en œuvre de certaines dispositions issues de la directive (UE) 2016/97 sur la distribution d’assurances
https://acpr.banque-france.fr/sites/default/files/media/2023/07/18/20220718_recommandation_dda.pdf
(2) https://acpr.banque-france.fr/sites/default/files/media/2022/12/06/2022_presentations_apres-midi_session_3.pdf ; Conférence ACPR du 5 décembre 2022
(3) « Les obligations de vigilance des professionnels du secteur assurantiel animant un réseau de distribution dans le suivi de la commercialisation des contrats» publication d’avril 2023, Revue de l’ACPR
https://acpr.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/20230403_revue_acpr_animation_reseaux_distribution.pdf
(4) DIRECTIVE (UE) 2016/97 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32016L0097