La conception-réalisation gagne du terrain

La conception-réalisation gagne du terrain

La loi Elan élargit les possibilités de recours à ce contrat global.

La loi n° 2018-1021 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan) du 23 novembre 2018 apporte de réelles innovations s’agissant de la réglementation de la commande publique, et notamment des marchés de conception-réalisation (CR). On rappellera que le recours à ces contrats est régi conjointement par l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et par la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 dite « MOP ». Le régime était jusqu’alors le suivant :
– en principe, les acheteurs soumis à la loi MOP doivent, pour pouvoir associer l’établissement des études et l’exécution des travaux dans un seul marché, justifier de l’existence de motifs d’ordre technique, ou d’un engagement contractuel portant sur l’amélioration de l’efficacité énergétique ;
– par exception, certains projets sont dispensés d’une telle justification. Il s’agit d’ouvrages d’infrastructures ; à titre temporaire, de la construction de logements sociaux (art. 33, II de l’ordonnance) ; de marchés publics globaux sectoriels (art. 35 de l’ordonnance, permettant d’ajouter d’autres missions que la conception-réalisation, comme l’exploitation et la maintenance) ; ou encore des ouvrages ne rentrant pas dans le champ d’application de la loi MOP (art. 1er de ladite loi).
La loi Elan modifie et élargit le cadre réglementaire des marchés de CR selon trois axes principaux (1).

Pérennisation de l’exception existante pour la construction de logements sociaux.

Dans sa rédaction initiale, l’article 33,II de l’ordonnance avait repris le dispositif de l’article 110 de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion. En substance, il s’agissait d’autoriser les organismes HLM et les SEM de construction et de gestion de logements sociaux, soumis à la loi MOP, à conclure, jusqu’au 31 décembre 2018, des marchés de CR pour les logements locatifs aidés sans avoir à justifier des motifs classiques (motifs d’ordre technique ou amélioration de la performance énergétique).
Ce dispositif est pérennisé par l’article 69, I de la loi Elan qui modifie l’article 33, II de l’ordonnance : le recours à ce montage n’est plus limité dans le temps. Ceci s’explique par le succès de cette mesure et par une volonté politique de rattraper le retard existant dans la construction de logements sociaux. D’une part, et selon une étude du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) de mars 2013, le recours à des marchés de CR diminuerait à la fois les coûts (de 5 à 15 % d’économies) et les délais de construction (de six à douze mois). D’autre part, 15 % des opérations de construction de logements sociaux sont actuellement réalisées en CR, preuve que cet outil est ancré dans les pratiques des organismes HLM.
A noter que ce régime dérogatoire n’est pas octroyé aux OPH et SEM en fonction de leurs statuts, mais bien pour pro-mouvoir la construction des seuls logements aidés. Sont visés ici les logements locatifs aidés par l’Etat et financés avec le concours des aides publiques mentionnées au 1° de l’article L. 301-2 du Code de la construction et de l’habitation. La loi Elan innove en élargissant cette possibilité aux Crous jusqu’au 31 décembre 2021. Une SEM de construction de logements sociaux ayant un portefeuille de logements diversifié (aidés et non ai-dés) ne peut ainsi avoir recours à la dérogation législative que pour du logement aidé. Les opérations mixtes sont de ce fait à considérer avec attention.

Un marché global sectoriel pour les réseaux de communications électroniques.

L’article 230 de la loi Elan, issu d’un amendement, crée une nouvelle catégorie de marché public global sectoriel, en autorisant le recours aux marchés de CR pouvant également porter sur des missions de maintenance et d’exploitation, pour l’établissement d’infrastructures et de réseaux de communications électroniques, et ce que jusqu’au 31 décembre 2022. Cette exception à l’allotissement a été justifiée par la pertinence avérée d’associer dans ce domaine les prestations de conception et de réalisation du réseau. Mais aussi parce que, selon les termes des députés qui ont porté l’amendement, « le caractère restreint des motifs techniques invocables ainsi que l’approche particulièrement stricte du juge administratif dans l’appréciation desdits motifs sont générateurs d’une insécurité juridique pour les personnes publiques qui souhaitent recourir à la conception-réalisation en matière de réseaux de communications électroniques ».
Le législateur autorise ainsi expressément les maîtres d’ouvrage à passer des marchés globaux pour permettre l’association des bureaux d’études en amont du processus d’élaboration du réseau, lesquels sont d’ailleurs souvent intégrés aux grands opérateurs nationaux. On fera remarquer que cette nouvelle exception n’est pas insérée à l’article 33 de l’ordonnance marchés publics, mais demeure isolée au sein de la loi Elan.

 

Un nouveau motif pour le neuf

La grande innovation de la loi Elan réside dans l’ajout d’un nouveau motif de recours à la conception-réalisation. Outre les deux déjà existants (complexité technique et amélioration de l’efficacité énergétique), l’article 69, II d’Elan modifiant l’article 18 de la loi MOP dispose que la CR est désormais possible s’agissant des constructions neuves sous réserve que celles-ci dépassent « la réglementation thermique en vigueur ».

On regrettera que ce nouveau motif n’ait pas été également inséré au sein de l’article 33 de l’ordonnance marchés publics, mais uniquement dans l’article 18 de la loi MOP. Il y a dorénavant une divergence dans la rédaction des deux articles qui était au-paravant alignée. Néanmoins, l’interprétation et la portée de cet ajout ne sont pas remises en question à partir du moment où l’article 33 s’applique « sans préjudice des dispositions législatives spéciales », la loi MOP en étant une.
Ce faisant, Elan clôt le débat doctrinal et jurisprudentiel, dont nous nous faisions l’écho (2), de savoir si les constructions neuves peuvent bénéficier du recours au marché de CR en raison d’une amélioration de l’efficacité énergétique. Pour une partie de la doctrine, ce motif ne pouvait être invoqué que sur des opérations de réhabilitation du bâti, c’est-à-dire par référence à un niveau de consommation énergétique existant. La loi du 23 no-vembre 2018 infirme ce raisonnement et consacre la possibilité de justifier un montage en CR sur du neuf (donc sans référence aux consommations passées), au motif d’un dépassement de la réglementation thermique en vigueur.
Ainsi, il appartiendra aux porteurs de projets d’apporter des preuves tangibles que les constructions à venir seront meilleures que les standards de la RT 2012 aujourd’hui en vigueur, et de la RT 2020 demain. Autrement dit, le débat portera désormais davantage sur le seuil de « plus-value thermique » du projet par rapport à la réglementation. Toutes les exigences de résultats de la RT 2012 (besoin bioclimatique, consommation d’énergie primaire, confort en été) devront-elles être améliorées ? Ou bien seulement une des trois ? Les exigences de moyens de la RT 2012 (recours aux énergies renouvelables, étanchéité à l’air, traitement des ponts thermiques, performance des isolants, etc.) seront-elles prises en compte au titre de ce nouveau motif ? Quel seuil d’amélioration sera considéré comme dépassant la RT ?
En définitive, la loi Elan apporte des ajouts intéressants et novateurs. En sécurisant les conditions de recours à la conception-réalisation, elle a voulu donner aux maîtres d’ouvrage publics
tous les outils possibles pour faciliter l’usage du marché global

 

(1) Nous n’évoquerons pas ici l’élargissement opéré par Elan pour les opérations liées à l’organisation des JO de 2024 (art. 19).
(2) « Conception-réalisation pour motif d’efficacité énergétique… Demain dans le neuf ? », « Le Moniteur » du 10 novembre 2017

Les cas de recours au marché de conception-réalisation

Trois motifs principaux :

  1.  Motif d’ordre technique (art. 33, I de l’ordonnance n° 2015-899)
  2. Un engagement contractuel sur un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique (art. 33, I de l’ordonnance n° 2015-899)
  3. Le dépassement de la réglementation thermique pour les constructions neuves (art. 18 de la loi MOP modifié par l’article 69, II de la loi Elan)

Quatre cas particuliers

  1. Construction de logements locatifs aidés par l’Etat : par les organismes HLM et SEM sans limite de temps, ainsi que par les Crous jusqu’au 31 décembre 2021 (art. 33, II de l’ordonnance modifié par l’article 69, I de la loi Elan)
  2. Opérations de construction ou de réhabilitation portant sur les ouvrages nécessaires à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 (art. 17-1 de la loi n° 2018-202 créé par l’article 19 de la loi Elan)
  3. Marchés publics globaux sectoriels (pouvant inclure l’exploitation et la maintenance) (art. 35 de l’ordonnance)+ infrastructures et réseaux de communications électroniques jusqu’au 31 décembre 2022 (art. 230 de la loi Elan)
  4. Ouvrages d’infrastructures et ouvrages en dehors de la loi MOP (art. 33-I de l’ordonnance et art. 1er de la loi MOP)