Concessions provisoires, mode d’emploi

Concessions provisoires, mode d’emploi

Parfois, les acteurs publics locaux sont soumis à des contraintes de temps et à des circonstances d’urgence opposant le formalisme à l’intérêt général du service public. La continuité du service public. La continuité du service public est alors en danger et la question se pose des outils dont disposent les élus locaux pour assurer la satisfaction des usagers.

Depuis la réforme de 2016, il est apparu que le droit des concessions était, par rapport au droit des marchés publics, amputé d’une certaine souplesse. En effet, alors que les dispositions nationales et européenne relatives aux marchés publics prévoient qu’en cas d’urgence impérieuse la passation d’un marché public peut-être faite sans publicité ni mise en concurrence (1), aucune disposition similaire n’existe pour les concessions. Nous ferons aussi remarque que le réforme a réduit les possibilités de prolongations des concessions excitantes en supprimant l’article L.1411-2 du CGCT, lequel autorisait les prolongations d’une année au plus, à la condition de justifier d’une motif d’intérêt général (2). Désormais, le droit des concessions (conclues à titre provisoire ou de prolongations de leur durée) apparaît plus strict et plus restrictif que les anciennes dispositions.

Pourtant, le Conseil d’Etat (3) a autorisé, en cas d’urgence, la passation d’une concession provisoire exonérée des règles de publicité et de mise en concurrence, en vue de prévenir un risque imminent de rupture dans la continuité de service : “En cas d’urgence résultant de l’impossibilité soudaine dans laquelle se trouve la personne publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l’assurer elle-même, elle peut, lorsque l’exige un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public, conclure à titre provisoire, un nouveau contrat de délégation de service publics sans respecter au préalable les règles de publicité prescrites; […] la durée de ce contrat ne saurait excéder celle requise pour mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence, si la collectivité entend poursuivre la délégation du service, ou, au cas contraire, pour organiser les conditions de sa reprise en régie ou pour en redéfinir la consistance. » Ce faisant, le Conseil d’Etat a confirmé et précisé la jurisprudence des juridictions du fond (4).
Mais l’exonération d’une telle procédure ne peut être justifiée que par la réunion de conditions strictes et cumulatives. Un rappel semble bienvenu, l’actualité jurisprudentielle témoignant de ce que les acheteurs publics utilisent parfois cet outil à mauvais escient (5).

 

1.La conclusion de concession provisoire est-elle réservée aux seules concessions de service public ?

OUI. Mais cela n’est pas suffisant puisque tout service qu’une personne publique a décidé d’assumer dans l’intérêt géné-ral est susceptible de recevoir une telle qualification. Il faut que le service « satis-fasse un besoin essentiel de la collectivité publique » (6). Pour valider la passation d’une concession provisoire, le juge doit établir qu’au regard de l’objet du service l’interruption porte à l’intérêt général une atteinte d’une particulière gravité. Pour déterminer cela, il examine si le service est nécessaire au bon fonctionnement des administrations et à la satisfaction des besoins essentiels des administrés. Le juge procède ainsi à une analyse globale du fonctionnement du service pour déterminer si la concession est l’unique support de l’exécution du service ou si d’autres moyens en assurent l’exécution.
A titre d’illustration, et s’agissant de la conclusion d’une concession provisoire concernant l’affichage municipal sur des mobiliers urbains, le juge administratif a pris en compte qu’une ville dispose d’autres canaux pour informer les administrés que les seuls panneaux d’affichage. En d’autres termes, le service d’information municipale a d’autres supports d’exécution que la seule concession de services (magazines, sites internet, radio ou télévision locale, réseaux sociaux, newsletter). Dans ces conditions, l’objet de la concession n’est nécessaire ni au bon fonctionnement des administrations ni à la satisfaction des besoins essentiels des administrés.
Il est intéressant de souligner que le rap-porteur public aurait eu une position différente en cas de panne informatique : « Nous n’aurions pas eu la même analyse à propos, par exemple, du service de maintenance du site internet de la mairie de Paris qui permet non seulement de diffuser de l’information mais aussi, et surtout, d’accéder aux services publics municipaux. »

2. L’acheteur public doit-il être dans l’impossibilité d’assurer le service ?

OUI. Néanmoins, la jurisprudence n’exige pas que l’acheteur public démontre son impossibilité à assurer lui-même le service. La reprise du service en régie serait en effet trop contraignante (reprise de biens et de personnels pour une période courte, manque de compétence de la collectivité, etc.). Le juge se contente de vérifier si l’autorité concédante, sans forcément reprendre l’activité en régie, est, ou non, en mesure d’assurer temporairement le service minimum nécessaire le temps de procéder à une nouvelle passation.
Les circonstances liées à l’impossibilité d’assurer le service devront faire l’objet de détails clairs et probants emportant la conviction du juge de ce que l’acheteur n’avait finalement pas d’autre choix de recourir à une concession provisoire. A cet égard, la rédaction du préambule de la concession provisoire explicitant les motifs du recours à ce contrat pourra constituer un élément contextuel de justification du contrat.

 

3. Quel intérêt général peut justifier la poursuite du service interrompu dans le cadre d’une concession provisoire ?

ATTENTION. L’appréciation du motif d’intérêt général n’est pas le même que dans la résiliation pour motif d’intérêt général. Autrement dit, les raisons de conclure une concession provisoire de gré à gré sont différentes (et plus restreintes) de celles conduisant l’administration à résilier uni-latéralement un contrat public. L’intérêt général, dans le cas présent, est intimement lié aux impératifs de continuité du service. Ainsi, l’interruption du fonctionnement d’infrastructures portuaires empêchant l’accueil de certains navires constitue un motif valable de conclusion d’une concession provisoire (7). En revanche, l’intérêt financier de l’autorité concédante (i. e. le volet financier lié à l’exploitation du service interrompu) ne constitue pas un intérêt général justifiant l’absence de mise en concurrence (8).
Selon notre analyse, lorsque l’interruption du service empêche les usagers de bénéficier d’un service essentiel, l’intérêt général justifiant la continuité du service est plus facilement caractérisé par le juge.

 

4. L’acheteur public peut-il être à l’origine de l’urgence ?

NON. L’urgence créée par l’interruption du service doit être indépendante de la personne publique. L’organisation artificielle de l’urgence par l’acheteur public sera logiquement appréciée comme une tentative d’échapper à la mise en concurrence.
A titre d’illustration, l’urgence sera dépendante de l’acheteur public lorsqu’elle découlera :

  • de sa négligence ou de son inertie dans le lancement d’une nouvelle procédure (9);
  • du fait même de l’acheteur à l’origine de l’interruption du service (10)

A l’inverse constitue une situation d’urgence la défaillance du cocontractant privé dans l’exécution de la concession initiale et nécessitant de trouver rapidement un nouveau concessionnaire capable de s’y substituer (11). Se pose la question de savoir si la résiliation d’une concession en appli-cation d’une décision de justice constitue une situation d’urgence. A priori, rien ne semble devoir s’y opposer ; toutefois, il est fréquent que le juge administratif assortisse la résiliation d’un délai de prise d’effet pour permettre à l’autorité concédante d’anticiper la fin de la concession initiale et la passation d’une nouvelle concession.

 

5.Quelle doit être la durée de la concession provisoire ?

ATTENTION. La durée de la concession provisoire variera en fonction des particularités de chaque situation. La jurisprudence considère en effet que la concession ne doit durer que le temps nécessaire pour mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence ou pour organiser le pas-sage de l’activité en régie. Les préférences d’organisation de la personne publique pour passer la nouvelle procédure ne peuvent justifier la durée de la concession.
Une durée de concession provisoire de vingt et un mois (organisée sur un délai de passation de la future concession de vingt et un mois – treize mois de procédure comprenant plusieurs tours de négociations avec deux mois pour chaque réunion de commission – et huit mois au titre du déploiement des installations) a été jugée comme excédant la durée requise pour entreprendre une procédure de publicité et de mise en concurrence (12).
Toutefois, d’autres modalités pourraient être décidées pour fixer la durée de la concession provisoire. Le Conseil d’Etat (13) juge légale la concession provisoire qui doit s’achever avec la désignation par la personne publique de son nouveau cocontractant, à l’issue d’une nouvelle procédure de mise en concurrence conformément appliquée aux dispositions du code des transports et au plus tard dix-huit mois après l’entrée en vigueur de la concession provisoire.
Il est donc recommandé aux acheteurs de prêter une attention particulière à ce point. On peut raisonnablement penser qu’une procédure relative à une concession « ordinaire » de plus de quinze mois sera trop longue. En revanche, dans certains secteurs réglementés ou dans le cas d’une convergence d’autres contrats, une durée plus longue pourra être envisagée.

6.La concession provisoire doit-elle avoir le même objet que la concession initiale ?

ATTENTION. Les prestations concédées provisoirement doivent être limitées aux prestations strictement nécessaires pour assurer la continuité du service. Ainsi, l’objet de la concession provisoire n’est pas nécessairement l’objet de la convention initiale Il faudra adapter le périmètre du contrat provisoire en fonction de l’intérêt général. Surtout, l’acheteur public ne peut pas profiter de ce contrat conclu de gré à gré pour commander de nouvelles prestations sans respecter le droit de la commande publique.

 

7. Est-il possible de conclure une concession provisoire avec l’ancien concessionnaire ?

OUI. Le précédent concessionnaire n’est pas exclu de la concession provisoire. Par exemple, dans le cas où une décision de justice serait à l’origine de l’interruption, il n’y a pas de raison d’écarter le concessionnaire du contrat résilié ou annulé.
Toutefois, la conclusion de la concession provisoire n’est pas un avenant de prolongation ; celui-ci est soumis au régime général des articles 36 et 37 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 sur les modifications des concessions. Et lorsque le contrat provisoire fait suite à la défaillance du concessionnaire initial, unique hypothèse validée par le Conseil d’Etat pour l’instant (13), le cocontractant initial semble difficilement pouvoir prétendre à l’exécution de la concession provisoire.

 

7. Le recours à la concession provisoire est-il limité par le montant d’un contrat ?

NON. Le recours à une concession provisoire n’est pas limité par le montant du contrat. La jurisprudence ne s’est pas expressément prononcée sur la question.
Dans un premier temps, il a semblé que le rapporteur public Gilles Pellissier considérait qu’il était impossible de conclure des concessions provisoires de gré à gré d’un montant supérieur au seuil européen de procédure formalisée de 5 548 000 euros pour ne pas les rendre incompatibles avec les objectifs de la directive : « Ces conditions devraient, nous vous le disions, maintenir ces conventions transitoires en deçà du seuil d’application de la directive sur les concessions. Toutefois, afin d’en garantir la compatibilité avec ses objectifs, vous pourriez préciser que leur montant ne devra pas excéder ce seuil, soit 5 186 000 euros, désormais 5 548 000 euros » (14). Cette condition n’avait pas fait l’objet d’un considérant explicite de la part du Conseil d’Etat.
Dans un second temps, le rapporteur public a abandonné cette condition de seuil financier dans ses dernières conclusions : « Par sa formulation générale, la règle que vous avez instituée s’applique a priori à toutes les concessions de service, y compris celles soumises, en raison de leur valeur, à la directive européenne. » (15)
Nous pouvons donc légitimement penser que les concessions provisoires ne sont pas limitées dans leur montant

 

 

(1) Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, art. 30-I-1°.
(2) CAA de Marseille, 21 juin 2007, « Commune de Sanary-sur-Mer », req. n° 05MA00197.
(3) CE, 4 avril 2016, « Cacem », req. n° 396191.
Depuis cet arrêt,la condition de soudaineté de l’impossibilité de continuer à faire assurer le service a été abandonnée.
(4) CAA de Marseille, 21 juin 2007, « Commune de Sanary-sur-Mer », req. n° 05MA00197, précit.
(5) Voir pour un exemple récent : CE, 5 février 2018, « Ville de Paris », req. nos 416579, 416585, 416640, 416711, 416581, 416641.

(6) CE, 5 février 2018, « Somupi », req. nos 416579, 416585, 416640, 416581, 416641, 416711, conclusion de. Gilles Pellissier : « Pour le dire autrement, tout risque d’interruption d’un service, fût-il un service public, et cette interruption se-rait-elle totale, ne suffit pas à justifier la passation d’une concession de gré à gré. Il faut encore établir qu’en raison de l’objet du service, son interruption portera à l’intérêt général une atteinte d’une gravité particulière. »
(7) CE, 14 février 2017, « GPMB », req. n° 405157.
(8) CE, 5 février 2018, « Somupi », req. nos 416579, 416585, 416640, 416581, 416641.
(9) CE, 24 mai 2017, « Sté Régal des îles », req. n° 407213 ; TA de Paris, ord., 5 décembre 2017, nos 1717601/4 et 1717558/4 et CE, 5 février 2018, « Somupi », préc.

(10) CE, 4 avril 2016, « Cacem », req. n° 396191.
(11) CE, 14 février 2017, « GPMB », n° 405157, précit.
(12) TA de Paris, ord. 5 décembre 2017, nos 1717601/4
et 1717558/4.
(13) CE, 14 février 2017, « GPMB », req. n° 405157, précit.
(14) CE, 4 avril 2016, « Cacem », req. n° 396191,
concl. Gilles Pellissier.
(15) CE, 5 février 2018, « Somupi », req. nos 416579, 416585, 416640, 416581, 416641, concl. Gilles Pellissier, précit.