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Le Tribunal de l’UE admet l’utilisation d’enregistrements de conversations téléphoniques obtenus illégalement comme preuve d’une entente anticoncurrentielle
TUE, 8 sept. 2016, T-54/14, Goldfish BV e.a. contre Commission
Le Tribunal de l’Union européenne estime que la Commission européenne peut utiliser, comme moyen de preuve pour constater une entente anticoncurrentielle, des enregistrements de conversations téléphoniques obtenus illégalement par un concurrent.
Dans cette affaire, la Commission s’était appuyée sur les déclarations et pièces justificatives communiqués par l’une des entreprises participant à l’entente pour obtenir la clémence ainsi que sur des documents trouvés par ses services dans les entreprises lors de « dawn raids », dont des enregistrements secrets de conversations téléphoniques, pour prononcer une sanction de plus de 28 millions € (Commission, 27 nov. 2013, aff. AT.39633).
Saisi d’un recours, le Tribunal admet la recevabilité de ces enregistrements en l’espèce (pt. 40 et s.) :
- au regard du principe de libre appréciation des preuves prévalant en droit de l’UE, le seul critère pertinent pour apprécier la force probante des preuves régulièrement produites étant leur crédibilité ;
- toutefois, des preuves peuvent être écartés du dossier s’il subsiste un doute sur son obtention par des moyens légitimes par celui qui l’invoque. Si une telle exclusion n’est pas automatique, le droit de l’Union ne saurait admettre des preuves recueillies en méconnaissance totale de la procédure prévue pour leur établissement et visant à protéger les droits fondamentaux des intéressés et notamment le droit au respect de la vie privée (art. 8§1 CEDH) ;
- or, la Cour EDH retient que l’utilisation en tant que moyen de preuve d’un enregistrement illégal ne se heurte pas en soi aux principes d’équité du procès (art. 6§1 CEDH) ou de respect de la vie privée lorsque la partie requérante n’est pas privée d’un procès équitable ni de ses droits de la défense, et que cet élément n’a pas constitué le seul moyen de preuve motivant la condamnation ;
- il n’existe pas de disposition du droit de l’Union prévoyant expressément l’interdiction de tenir compte, dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, de preuves illégalement obtenues, par exemple en violation des droits fondamentaux. Le juge communautaire n’est donc pas tenu de s’aligner sur le droit de l’État membre dont la réglementation sur l’administration de la preuve serait la plus stricte (la France) ;
- en l’espèce, les enregistrements litigieux n’ont pas été effectués par la Commission, mais par une entreprise privée ayant participé aux conservations téléphoniques, la Commission les ayant recueillies légalement au cours de ses visites surprises. Elle a en outre offert à toutes les parties un accès à ces enregistrements et aux notes écrites les accompagnant ;
- ces enregistrements n’ont, d’ailleurs, pas constitué le seul moyen de preuve utilisé par la Commission.
Cette position tranche avec celle de la Cour de cassation, puisque, dans l’UE, seule la France interdit l’utilisation de preuves obtenues illégalement par une partie ou un tiers pour prouver une pratique anticoncurrentielle, irrecevables puisqu’obtenues de façon déloyale (Cass. AP, 7 janv. 2011, n°09-14.316 et 09-14.667).
Cette jurisprudence française n’est pas mise à mal par l’arrêt du TUE précité, puisque la Cour de cassation se fonde, outre l’article 6§1 de la CEDH, sur l’article 9 du code de procédure civile et le principe de loyauté dans l’administration de la preuve.