[INDUSTRIE DES PRODUITS DE SANTÉ] Décision CJUE Cafpi SA et Aviva assurances SA contre Enedis SA, 24 novembre 2022 (C-691/21)

[INDUSTRIE DES PRODUITS DE SANTÉ] Décision CJUE Cafpi SA et Aviva assurances SA contre Enedis SA, 24 novembre 2022 (C-691/21)

Dans sa décision du 24 novembre 2022, la CJUE vient préciser la notion de « producteur » au sens de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.

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Saisie d’une question préjudicielle posée par les juridictions françaises, la CJUE apporte une précision inédite sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1 de la directive relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, en donnant à un gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité la qualité de producteur au sens de ces dispositions, dès lors que celui-ci modifie le niveau de tension de l’électricité en vue de sa distribution au client final.

Il est tenu compte du fait que la fourniture de l’électricité à haute tension d’Électricité de France au consommateur est rendue possible par l’intervention du gestionnaire, ce dont il résulte que ce dernier participerait à la production du produit.

 

1. Exposé du litige

 

Les juridictions françaises ont été saisies d’un litige opposant une société et son assureur à la société Électricité Réseau Distribution France devenue la société Enedis, la première faisant état de dysfonctionnements sur des appareils électriques équipant l’une de ses agences, qui seraient dus à une rupture du circuit du réseau de distribution géré par Enedis.

Cette société et son assureur, qui a partiellement indemnisé sa cliente, ont ensuite recherché la responsabilité d’Enedis sur le fondement de la responsabilité contractuelle. La société Enedis faisait toutefois valoir en défense que seul le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux pouvait trouver application en l’espèce et se prévalait en conséquence du délai de prescription triennal associé.

D’abord rejeté par les premiers juges, cet argument a ensuite été accueilli favorablement par la Cour d’appel saisie de l’affaire. La Cour de cassation a été amenée à se prononcer à cet égard sur la possibilité de qualifier le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité de « producteur » au sens de la directive relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, la conduisant à transmettre une question préjudicielle à la CJUE.

 

2. La position de la CJUE et ses incidences

  • La solution

Après avoir prononcé la recevabilité de la question posée et rappelé que l’électricité est bien un « produit » au sens de la directive relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, la CJUE répond que le gestionnaire d’un réseau de distribution d’électricité doit être considéré comme un « producteur » au sens de ladite directive, dès lors que celui-ci modifie le niveau de tension de l’électricité en vue de sa distribution au client final. En effet, selon la Cour, le niveau de tension d’électricité est une caractéristique du produit, si bien que le gestionnaire, en le modifiant, participe au processus de production.

Cette position est alignée avec celle de la Cour de cassation qui avait déjà appliqué dans le passé la responsabilité du fait des produits défectueux à la société Enedis (Cour de cassation, Chambre civile 1, 11 juillet 2018, 17-20.154, publié au bulletin). Bien que dans cette affaire, le cœur du litige ne portait pas sur la qualité de producteur de cette société, la décision avait été critiquée par une partie de la doctrine qui considérait que celle-ci devrait revêtir la qualité de gardien du comportement du réseau électrique et qu’en conséquence, le régime de la responsabilité du fait des choses aurait dû être appliqué.

Bien que ces critiques doctrinales soient transposables à la décision de la CJUE commentée, elles ne sont pas suivies par la CJUE qui adopte une position dans l’esprit de la réforme en cours de la responsabilité du fait des produits défectueux.

En effet, l’article 7 paragraphe 4 de la proposition de directive européenne sur le sujet prévoit que « Toute personne physique ou morale qui modifie un produit qui a déjà été mis sur le marché ou mis en service est considérée comme un fabricant du produit […], lorsque la modification est considérée comme substantielle au regard des règles de l’Union ou des règles nationales applicables en matière de sécurité des produits et qu’elle est entreprise en dehors du contrôle du fabricant d’origine ».

  • Ses incidences pratiques

Sur le plan pratique, la décision de la CJUE du 24 novembre 2022 pourrait avoir pour effet d’accroître le champ de la responsabilité du fait des produits défectueux au détriment d’actions en responsabilité sur des fondements distincts. Cela présente une incidence en particulier sur le volet des délais de prescription.

La solution proposée par la CJUE est également intéressante d’un point de vue prospectif en ce qu’elle pourrait trouver application dans des litiges impliquant des logiciels, et ce d’autant plus qu’elle rejoint les dispositions de la proposition de directive européenne évoquée supra sur ce point. En effet, ce texte, qui vient expressément reconnaître que les logiciels sont des produits, prévoit que les modifications d’un logiciel peuvent notamment prendre la forme d’une mise à niveau, et dans le cas où cette dernière serait substantielle et réalisée en dehors du contrôle du fabricant, la personne qui l’a réalisée pourrait être tenue responsable.

Par ailleurs, dans le cas de logiciels intégrant une intelligence artificielle (IA), il conviendra également de faire application, lorsqu’elle sera définitivement adoptée, de la directive européenne sur la responsabilité en matière d’IA, fondée sur la faute extracontractuelle.

Une évolution de la jurisprudence en anticipation des réformes en cours est pressentie …